Avec l’ami Ploum, nous avons été invités à participer à l’événement Parlons Vélo Massy pour y parler de Low-Tech (et de vélo) dans le cadre de cet événement très sympathique.
Il pensait y aller en RER avec son épouse et leur fils, alors que pour ma part, je prevoyais de faire les presque 20 km à vélo, d’autant que le trajet passe par la fameuse coulée verte. Quelques arrangements plus tard, nous voilà tous ensemble à vélo, Madame et le fiston sur un cargo de location, Ploum et moi sur deux de mes vélos, mon Gravel titane et mon Brompton G-Line, que nous avons interchangé, pour qu’il puisse aussi bien tester un vélo en titane (une première pour lui) et un pliant (aussi une première). Ploum a publié juste avant l’événement un petit manifeste low-tech. À mon tour d’écrire un article sur le sujet, mélange de ce que je pense et de ce qui s’est dit lors de la table ronde.
Low Tech, un essai de définition
Il existe plein de définitions du concept de Low-Tech ! Alors forcément, j’ai commencé à demander à wikipédia, à chercher comment c’est défini par Philippe Bihouix, l’auteur de l’excellent L’âge des Low-Tech. J’ai aussi cherché sur le Web, par exemple chez Ecoconso.be, qui explique bien tout cela. Mais faute de définition officielle, je concocte la mienne.
L’approche Low-Tech, c’est une approche de la technologie qui rassemble plusieurs points clés :
- Sobriété : conception simple, juste ce qu’il faut de technologie, pas plus.
- Efficience : consomme peu de ressources tout en fournissant ce qu’on lui demande.
- Durabilité : pourra être utilisé pendant longtemps (solide, basé sur des technologies qui existeront encore dans plusieurs années et qu’on a le droit d’utiliser…).
- Maintenabilité : facile à entretenir soi-même, avec des outils et des pièces standards.
- Facilité d’utilisation : facile à utiliser par tout le monde.
- Local : utilise des ressources locales autant que possible.
Et ça n’est pas… l’absence de technologie. C’est comme dit plus haut, juste ce qu’il faut de technologie. Pas assez, et l’objet n’est pas à la hauteur du besoin, et si on met trop de technologie, on perd en maintenabilité, en bidouillabilité. Mais le vélo, c’est technologique ! Fabriquer un tube d’acier, un roulement à billes, un câble de dérailleur, un pneu, ça demande beaucoup d’énergie, de savoir faire et de machines. (Ajout : la fabrication d’un vélo à l’usine Raleigh en Angleterre en 1945). Merci Florian !
Low Tech et vélo
Dans la conversation à Massy, on a abordé les cas où il y avait — pour nous — trop de technologie, par exemple les dérailleurs électriques Shimano Di2 qu’il faut recharger régulièrement. Chez le fabricant SRAM, il y en a même qui sont sans fil (donc 2 batteries à recharger). Il n’y a eu personne dans l’assistance pour défendre un tel système, mais j’ai déjà croisé des sportifs qui ne juraient que par lui. (Merci à Fassil qui m’indique sur Mastodon cet article sur le sujet : The Cost of Convenience: Taking a Hard Look at Wireless Shifting. Le journaliste conclut que les manettes à friction, c’est mieux que le dérailleur électrique. Pour moi qui ne jure que par les systèmes indexés à câble, cela me fait passer pour un fan de high-tech !)
On a ensuite abordé la problématique des vélos Angell. Électriques, super design, mais avec de grave problèmes de conception au point qu’il est recommandé de ne plus les utiliser. À l’heure de la table ronde, les serveurs d’Angell ne sont plus accessibles.
Van Moof, qui a fait faillite avant d’être racheté, a donné des sueurs froides à ses clients, puisqu’ils risquaient de ne plus pouvoir utiliser leur vélo, car ces derniers sont connectés à des serveurs Internet dont ils dépendent pour fonctionner. Les factures de ces serveurs n’étant plus payées, les vélos pouvaient être immobilisés, même s’ils fonctionnaient correctement d’un point de vue mécanique. On voit bien ici la limite au trop-plein de technologie.
Alors que nous commencions à dire du mal du vélo électrique (je vois des enfants sur des trottinettes électriques avec une selle rajoutée, alors qu’ils feraient mieux de faire du vélo), j’ai rappelé que le vélo à assistance électrique n’était pas nécessairement mauvais. Il permet à certaines personnes en situation de handicap ou en surpoids ou ayant des trajets longs ou à fort dénivelé de pratiquer le vélo, chose qu’ils ne pourraient pas faire autrement. C’est là qu’on réalise que le curseur qui sépare la low-tech de la high-tech dépend aussi du besoin de l’utilisateur.
Low Tech contre système capitaliste
L’animateur de la table ronde a voulu aborder la low-Tech sous un aspect politique, et il a bien fait. Car si on peut regretter l’emprise écrasante de la High-Tech, il faut la remettre dans le contexte économique du capitalisme et de la société de consommation. Un parent qui offre une trottinette électrique à son enfant, qui a pourtant bien besoin de se dépenser physiquement, ne réalise pas forcément qu’il lui fait du mal, en l’empêchant de faire de l’exercice, car il croit lui faire plaisir, parce que l’objet est désirable. Cela nous pousse à penser la place du capitalisme, de la consommation, de la publicité et des modes dans la destruction du vivant qui est en cours.
Quand la bicyclette inspirait la high tech
Il y a une vieille vidéo de Steve Jobs que j’adore. Il dit que pour lui, “l’ordinateur est une bicyclette pour l’esprit”, ce qui est une façon très intéressante d’en parler. Plus de détails sur le contexte et le document évoqué : How the bicycle beats evolution and why Steve Jobs was so taken with this fact. En substance, alors que la bicyclette permet à l’humain d’aller plus vite avec moins d’effort, Steve Job, à la fin des années 1970, voyait l’ordinateur personnel comme étant une bicyclette pour l’esprit. J’adore cette approche, elle me touche profondément, mais quand je regarde le numérique aujourd’hui, l’addiction aux applications mobiles, à son empreinte environnementale, aux dérives de l’IA d’un point de vue social et du rapport à la vérité, aux dégâts provoqués par les réseaux sociaux, je me dis qu’on a perdu de vue cette vision.
Pour aller plus loin
- Ma collègue d’OCTO Sara Boucherot a publié une série de podcasts sur la Low-Tech dont je recommande vivement l’écoute si le sujet vous intéresse !
- Via un autre collègue d’OCTO, Sébastien Roccaserra, une interview du mythique Alan Kay (inventeur de l’interface graphique), qui disait :
When you put a person into a car, their muscles wither. You put a person into an information car, and their thinking ability withers. I wouldn’t put a person within 15 yards of a computer unless I was absolutely sure that it was a kind of a bike for them.
Ce qui donne, traduit par mes soins :
Quand vous mettez une personne dans une voiture, elle perd ses muscles. Quand vous mettez une personne dans une voiture informationnelle, elle perd sa capacité à penser. Je ne mettrais pas d’ordinateur à proximité d’une personne à moins d’être certain qu’il ne soit comme un vélo pour elle.
- Toujours via Sébastien Rocaserra, le livre Le désir de nouveautés, l’obsolescence au cœur du capitalisme (XVe-XXIe siècle) de Jeanne Guien interrogée par Salomé Saqué sur Blast : Pourquoi notre désir de nouveauté est une fabrication du capitalisme ? ;