Tristan de profil en roulant

J’ai fait une bêtise : le jour de mon anniversaire, je suis rentré dans une boutique avec mon épouse pour l’aider à choisir un manteau de pluie. Et c’était un piège : le vendeur avait mis juste devant l’entrée un vélo pliant anglais de marque Brompton, vélo dont je suis raide dingue. Sauf que là, c’était un tout nouveau modèle dit “G-Line”, avec plein de trucs qui changent, dont des roues plus grandes avec des pneus plus larges et des freins à disque. Le “G”, c’est pour “Gravel”.

Et je vous promets que ça c’est passé comme ça :

  • Lui : Bonjour Monsieur !
  • Bonjour, mais c’est quoi ce vélo ?
  • C’est le nouveau Brompton G-Line
  • Mais naaaaan, pourquoi j’en n’ai jamais entendu parler ?
  • Il vient tout juste de sortir, vous voulez l’essayer ?
  • Volontiers, je vous laisse ma femme en otage, ça marche ?
  • Oui, pas de problème !

Et je suis parti avant qu’il ne change d’avis et qu’elle ne me gifle pour une telle goujaterie.

Je suis allé faire un tour du coté des Halles, monter des marches, en descendre, rouler sur les pavés, je suis revenu vite, j’avais trop peur qu’il n’ait menotté ma femme au radiateur, et je sais à quel point le temps passe vite quand on s’amuse à vélo, alors qu’il parait si long quand on attend quelqu’un. Et je n’avais pas envie de jouer un coup pendable à ma femme.

C’est en rendant le vélo que j’ai réalisé qu’essayer un vélo d’une marque qu’on adore alors que c’est son anniversaire est dangereux. Mais il était déjà trop tard !

Connaissant mes limites, je n’ai pas voulu rester dans le magasin, frustrant certainement le vendeur qui m’avait tendu le terrible piège. Petite victoire : j’ai réussi à partir de là sans avoir sorti la carte bancaire !

Autant être direct : quelques jours plus tard, je suis passé devant une autre boutique de vélos. Et alors que je me demande si je rentre ou pas, un type sur un Brompton G-Line orange déboule sur le trottoir et rentre dans le magasin : il vient rendre le vélo de prêt qu’il venait lui aussi d’essayer. Déjà qu’en temps normal, sur ce genre de sujet, j’ai un mental de moineau (en plus d’une mémoire de poisson rouge, mais c’est une autre histoire), mais là c’était trop. Je rentre en disant au vendeur “j’en veux un comme ça”. Il m’a répondu, après avoir demandé la taille (L), le modèle (sans assistance électrique) et la couleur (orange), il a regardé sur son ordinateur, m’a dit qu’il en avait justement un prêt à partir.

Là, tout est devenu flou, et j’ai entendu dans ma tête, le mème “SHUT UP AND TAKE MY MONEY” (ou l’ai-je hurlé dans la boutique, je l’ignore). Et je suis sorti avec le vélo. C’est bien à ça que sert le compte épargne, non ? (En vrai : non, mais bon…).

Après cette trop longue introduction, je vous emmène faire un petit tour ?

Premier contact

Le vélo est déjà déplié, je le tiens devant moi, et j’ai hâte de monter dessus. Je regarde le guidon, et je le trouve moderne, sobre et avec un superbe design. C’est une impression qui va revenir souvent dans ce compte-rendu : le G-Line, c’est un Brompton du 21e S. La finition est jolie, un noir satiné sobre, les leviers de frein sont superbes, le réservoir d’huile (oui, les freins sont hydrauliques !) est très bien intégré, mieux que chez Shimano. Le cintre est tenu par une pièce qu’on pourrait qualifier de potence, cette attache est très bien finie elle aussi. Une sonnette, noire comme le reste, fait un joli bruit mais a tendance à tourner autour du guidon. C’est la première faute de goût, mais ça ne devrait pas être trop compliqué à corriger en la remplaçant par un modèle de meilleure qualité. Les poignées sont nouvelles et dites ergonomiques, avec un aplat pour les poignets. Je monte sur le vélo, et comme le cadre est bas, comme tous les Bromptons, on peut passer la jambe devant ou derrière la selle, au choix. On se retrouve assis comme sur un VTT. Avec des pédales de VTT, assez grandes. La pédale de gauche (non, ça n’est pas un embrayage !) n’est pas pliable comme sur les anciens modèles, mais amovible, comme sur le T-Line (celui en titane). Avantage : elle permet de gagner de la place en largeur une fois le vélo plié. Bon, on donne le premier coup de pédale et c’est parti !

Tristan de trois quarts sur la digue du phare

Premiers tours de roue

Ça se confirme, on se sent comme sur un VTT. Les gros pneus donnent un confort certain sur terrain inégal. C’est nouveau ! Mais surtout le vélo est beaucoup plus stable que les générations précédentes. La géométrie a été revue en profondeur, et ça change tout. Autant le modèle 16 pouces était “Darwinien” comme me le disait l’ami Bilook, avec une direction particulièrement vive qui rend la conduite à une main précaire et rend presque impossible la conduite sans les mains, on se retrouve avec le G-Line avec un vélo très stable, qui donne tout de suite confiance, avec lequel on peut pédaler fort, voire en danseuse. Je confirmerais par la suite que sur longue distance, ça rend la conduite moins fatigante. Par contre, c’est inévitable, le vélo est beaucoup moins vif et maniable que l’ancien modèle. Je roule sur les pavés de Paris, puis plus tard de l’ile de Ré, puis des singles, des pistes sablonneuse, les pneus larges (des Schwalbe G-One Allround de 2.1”) changent la donne dès que le bitume n’est plus parfait ou tout simplement absent. J’ai pu le vérifier, avec mon épouse qui me suivait avec un Brompton 16”, quand nous avons échangé nos montures. Sur le G-Line, les pneus sont montés avec une chambre a air mais devraient à terme être montés en Tubeless. On devrait gagner un peu en poids et en agrément, en plus d’une meilleure résistance à la crevaison.

Transmission

Un autre point fait que le guidon fait beaucoup plus moderne : le recours à un changement de vitesse Alfine 8. Il faut dire que mon ancien Brompton a 3 ans et dispose de 6 vitesses, et donc un système particulièrement baroque, avec des vitesses 1, 2 et 3 à droite (dans le moyeux) et des vitesses + et - à main gauche (via un dérailleur), avec la nécessité de combiner l’utilisation des deux mains pour profiter du meilleur étalement. Pour compliquer le tout, les vitesses du dérailleur doivent se passer pendant qu’on pédale et celle du moyeu quand on ne pédale pas, ou du moins pas fort. En bref, pas super convivial, et rebutant pour le débutant en Brompton. J’ai cru comprendre que les modèles plus récents sont équipés différemment. Reste que sur le G-Line, on a 8 vitesses avec une manette ergonomique, sans prise de tête. Certes, ça n’est pas un dérailleur, c’est à dire qu’il faut éviter de forcer quand on change de vitesse, de façon à éviter les craquements. À l’inverse, on peut changer de vitesse à l’arrêt, c’est même recommandé. En bonus, zéro bruit de roue libre, alors que les Bromptons sont souvent bruyants de ce point de vue-là, y compris le T-Line que j’ai essayé il y a quelques mois.

Tristan porte le G-Line sur la plage

Freins

Après une période de rodage de quelques kilomètres, où il faut freiner par à-coups secs et éviter les freinages prolongés, on apprécie l’efficacité des freins à disque. Comme sur un vélo moderne, c’est très efficace même sous la pluie et silencieux. En échangeant avec mon épouse, j’ai été surpris en revenant à des freins à patins (qui sont pourtant très bien réglés sur mon vieux Brompton). Ça freine, certes, mais sans commune mesure avec les freins à disque.

Le G-Line béquillé devant les salins

Pliage

Me voilà arrivé à destination, je vais le plier pour la première fois. J’ai l’habitude et le principe est toujours le même, mais on va voir que sur certains détails, il y a eu du changement, avec du bon et du moins bon :

  1. Béquiller le vélo en rabattant la roue arrière sous le cadre. Ça se fait facilement, et la plus grande largeur du porte-bagage offre une plus grand stabilité. Bravo !
  2. Défaire la charnière centrale. Là, du nouveau ! Non seulement la charnière a été redessinée et fait plus moderne, mais surtout il y a beaucoup moins de tours à faire pour la déverrouiller et, suprême bonheur, la partie mobile au verrouillage est toujours en place. Sur l’ancien modèle, elle bougeait beaucoup et il fallait faire attention quand on vissait. Là, plus la peine, elle est toujours au même endroit et moins de deux tours suffisent pour verrouiller la charnière. Quel luxe !
  3. Rabattre la partie avant du vélo. Rien à signaler, ça marche comme avant et le crochet est plus joli que le précédent.
  4. Défaire la charnière avant et laisser tomber la potence qui se verrouille toute seule. Enfin ça, c’est la théorie, car avec le G-Line, la potence ne se verrouille pas toujours toute seule : elle peut parfois rebondir. Rien de très grave, mais cette régression par rapport au C-Line est un peu agaçante.
  5. Défaire la pédale de gauche. C’st un peu compliqué avec mes gros doigts, pas simple forcément de la mettre en place sur la fourche. Et dans l’autre sens, c’est pire encore. Là encore, une régression pénible par rapport au C-Line. Il y a peut-être un truc que j’ai mal compris, mais franchement, c’est frustrant de galérer sur un détail pareil. Le rodage, là aussi, pourra-t-il aider à résoudre cela ?

Bon, et pendant qu’on est dans la critique, mais ça n’est pas une surprise, le G-Line est plus gros qu’un C-Line, et le poids aussi.

D’après la fiche technique, un C-Line est donné pour 11,5 kg, là où le G-Line (avec porte-bagage dans mon cas) pointe à 14,8 kg, ce qui commence à être imposant. Je ne retrouve plus l’information, mais il me semble qu’il autorise un poids transporté de 140 kg là où le C-Line était limité à 110 kg. En termes d’encombrement voici ce que j’ai pu trouver dans une vidéo en ligne (dont j’ai perdu le lien, désolé) :

C-Line G-Line
Hauteur 63 cm 68 cm
Longueur 53 cm 71 cm
Largeur 30 cm 38 cm

Mais, par rapport au modèle C-Line ?

Les regarder côte à côte, c’est un peu jouer au jeu des 7 différences. Alors j’ai tout passé en revue pour vous.

Ce qu’ils ont bien fait de garder

  • Ça reste un Brompton, c’est bien pensé à tous points de vue.
  • Le système de pliage en 3 parties est emblématique et donc la compacité du vélo malgré tout.
  • Le système pour attacher un sac à l’avant.

Les points qui fâchent

  • la pédale détachable pénible à manœuvrer
  • L’absence de la dynamo-moyeu qui évite de se demander si on a bien pensé à charger les loupiottes. Par contre, les lumières livrées sont de bonne qualité et rechargeables sur USB.
  • La taille une fois pliée, forcément plus imposante qu’un modèle 16 pouces
  • L’absence de pompe
  • L’incompatibilité de la trousse à outils de l’ancien modèle (celle qui se range dans le cadre)
  • Les poids et volume plus importants, mais rien de rédhibitoire.
  • Le porte bagage et le garde-boue arrière, après 3 jours d’utilisation et un aller-retour en TGV, montre déjà des rayures. Rien de très grave, mais à ce prix-là, c’est dommage que ça s’abime aussi vite…

Les progrès

  • Les freins à disque, quel bonheur !
  • Le système Shimano Alfine pour les vitesses. Joli, efficace, ergonomique et intuitif. Moderne, quoi !
  • Les gros pneus qui offrent du confort sur revêtement dégradé
  • La géométrie plus stable
  • Le design beaucoup mieux intégré sur de nombreux points. La potence moche, c’est du passé !
  • Le système de fermeture des charnières plus joli et beaucoup plus efficace
  • La rigidité du cadre qui devrait donner un meilleur rendement
  • Le poids maximal transporté qui augmente
  • Deux paires de pas de vis pour mettre des gourdes : une paire sur la potence et une autre sur le coté droit de la fourche
  • Le porte-bagage plus joli et plus large donc plus stable une fois béquillé.

Alors, je le garde ou je le revend ?

Je vous entends déjà, chers lecteurs, me proposer de m’en débarrasser à vil prix, mais autant vous le dire tout de suite, je le garde ! Ça ne veut pas dire que le G-Line soit pour tout le monde.

Pourquoi le G-Line me convient-il ?

Ce que j’aime, c’est qu’il correspond à mes besoins. Je suis grand et lourd, j’aime mon confort et j’ai un usage urbain sur des voies trop souvent défoncées. Je trimballe un sac avec un ordinateur dedans et j’ai parfois besoin de prendre le TGV soit pour aller à une conférence soit pour un week-end bas-carbone en amoureux. Pour ça, la bagagerie Brompton est top. Sur place, j’aime bien tester des chemins de traverse pas toujours bien revêtus. Depuis que j’ai eu des freins à disque, je n’arrive plus à m’en passer, et je trouvais que c’était une des limites du C-Line.

Pour toutes ces raisons, le G-Line me correspond. J’aime sa praticité, sa polyvalence, son confort et son coté fun. J’ai l’impression, pour mes 58 ans, de m’être offert le BMX que je n’ai jamais eu. Les mauvaises langues vous diront qu’en fait j’achète sans le savoir le SUV du Brompton, mais il ne faut pas écouter les mauvaises langues !

Les deux Brompton sur la digue

Un C-Line sera pour vous si…

Par contre, soyons lucides, si le relatif inconfort du C-Line ne vous gène pas, si vous roulez à 100% sur route, que la compacité une fois plié est essentielle et que vous appréciez la grande vivacité du petit modèle ainsi que son prix moins déraisonnable, foncez sur le C-Line, surtout si le poids est un sujet.

Ou alors gagnez au Loto et offrez-vous un T-Line parce que coté poids, il est incroyable (et avec la monnaie du Loto, offrez-vous G-Line aussi). Pour tout vous dire, je vais revendre un de mes deux C-Line et conserver l’autre, le Black Laquer, comme ça mon épouse et moi pourrons continuer nos week-ends bas carbone, et je pourrais alterner mes usages (et lui prêter mon G-Line, qu’elle apprécie) !

Tristan de nuit devant la gare de la Rochelle