Mise à jour du 19/02/2018 : Le magazine Usbek & Rica me fait l’honneur de reprendre mon article : Facebook, un navire dont le capitaine a perdu sa boussole.
Je titrais récemment la mauvaise réputation de Facebook, qui vient juste derrière Marlboro quand on demande aux américains de choisir les entreprises qui sont toxiques pour la société. Cette semaine continue dans la même veine, avec Wired qui balance une couverture choc :
“Réparer Facebook”
Début janvier, Zuckerberg, qui apparaît abimé sur le photomontage ci-dessus, promettait qu’il choisissait comme objectif personnel pour 2018 de “réparer Facebook”.
Un mois et demi plus tard, on constate à quel point Facebook ne peut pas être “réparé”, pour la raison toute simple que la notion même d’éthique a toujours été absente de la culture d’entreprise. Le slogan de départ chez Facebook était “move fast and break things”, “aller vite et casser des choses”. Et on le voit à l’œuvre : casser des règles, des lois, des concurrents, et même des gens.
Mais continuer à piller les gens en misant sur leur besoin de sécurité
Aujourd’hui encore, on constate deux choses qui sont graves à mon sens, à savoir exploiter le besoin de sécurité des utilisateurs en vue de tirer plus d’eux. Deux exemples récents le prouvent :
- Facebook, aux USA, a utilisé le numéro de téléphone que vous pouvez fournir pour sécuriser votre connexion[1] pour vous spammer par SMS. Et si vous répondez, Facebook publie vos réponses sur votre page
- Depuis quelque temps, Facebook vous propose — pour être plus en sécurité — d’utiliser gratuitement un service de VPN. Seulement voilà, Facebook est propriétaire de ce service et en profite pour pomper encore plus de données, comme par exemple le temps que vous passez chez les services concurrents (voir aussi en français) ;
Si Zuckerberg était si impatient de “réparer Facebook”, ne croyez-vous pas qu’il aurait pu mettre fin à ces deux pratiques scandaleuses qui visent à faire levier sur le sentiment d’insécurité des gens pour leur soutirer plus de data et plus d’attention ?
Pour moi, Facebook est un navire dont le capitaine a perdu sa boussole et son compas. Il affirme à qui veut bien l’entendre qu’il sait où il va, sans savoir où cela se trouve.
Un manque éthique ancré de longue date : l’affaire de la dopamine
L’errance morale de Facebook est profondément ancrée dans l’entreprise, la preuve en est dans l’affaire de la dopamine, qui date de 2004.
La dopamine est un neurotransmetteur qui est émis par le cerveau et provoque du plaisir quand on reçoit des likes, des citations ou des commentaires sur les réseaux sociaux. Sean Parker, ancien président de Facebook en 2004 et 2005, expliquait comment les neurosciences et les pics de dopamine étaient utilisés pour rendre les gens accros à Facebook.
Expliquer cela au grand public
J’en ai fait une ou plutôt deux conférences :
- En quinze minutes, orientée grand public : Tristan Nitot - Prenons-nous le risque de vivre dans Matrix ? ;
- En 55 minutes, pour les geeks : à Toulouse Capitole du Libre
- présentation format PDF (8,7Mo)
- Transcription par l’équipe de l’APRIL que je remercie au passage ;
- Si les silos, c’est votre truc : présentation sur Slideshare.
Argent partout, éthique nulle-part
Voilà, s’il fallait résumer le business de Facebook, on pourrait dire qu’ils se sont inspirés de la bonne vieille économie de l’attention (vous savez, quand le patron de TF1 expliquait qu’il “vendait à Coca Cola du temps de cerveau humain disponible”, en 2004) qui s’est transformée, grâce au numérique, en économie de l’addiction. Rendre les utilisateurs accros pour les gaver de publicité. Prendre leurs textes, leurs photos, leurs vidéos, leurs contacts, leurs données personnelles, filer de la dopamine en échange, pendant qu’on monétise les données avec de la publicité ciblée auprès d’annonceurs parfois douteux (russes ou racistes).
C’était déjà ça le modèle de Facebook en 2004. Alors retrouver une boussole morale pour “réparer Facebook” ? Bonne chance, Mark…
Note
[1] Les spécialistes parlent de 2FA / 2-Factor Authentication.
8 réactions
1 De Da Scritch - 16/02/2018, 11:46
Un ensemble de pratiques dans une entreprise définit une culture d'entreprise.
Si les pratiques sont mauvaises, la culture d'entreprise est toxique.
2 De bobx - 16/02/2018, 13:01
Ça fait 10 ans qu'on prévient les gens...faut laisser crever les moutons, ce sont des boulets et ce monde commence à me fatiguer...vivement des gouvernements de droite durs et non laxistes !!
Pour facebook, google, amazon et tutti quanti, un bonne loi anti-trust est c'est réglé...on saucissone et on en parle plus !
Nos plus graves problèmes :
- le manque de courage politique
- la corruption à tous les étages du pouvoir
3 De Damien - 16/02/2018, 13:32
> Pour moi, Facebook est un navire dont le capitaine a perdu sa boussole et son compas. Il affirme à qui veut bien l’entendre qu’il sait où il va, sans savoir où cela se trouve.
a-t-il seulement eu une boussole et un compas ?
et puis vu l'histoire de la naissance de Facebook, on sent bien que l'éthique est pas la qualité première de son fondateur.
4 De boklm - 16/02/2018, 13:58
Je pense que le probleme est pas un manque d'éthique de l'entreprise. Le probleme c'est de mettre autant de données et de pouvoir de manipulation sur les gens dans les mains d'une seule entreprise. Quelle que soit l'éthique de l'entreprise au départ, ca va finir par mal se passer au bout d'un moment.
5 De Benoit Pruneau - 18/02/2018, 16:21
On parle aussi de Sean Parker, mais aussi de Tristan Harris, anciennement de chez Google, dans un éditorial d'Alexandre Sirois dans La Presse :
http://www.lapresse.ca/debats/edito...
6 De cdf - 19/02/2018, 15:40
Contrairement a l auteur, je ne pense pas que Zuckerberg ait perdu sa boussole. Il sait tres bien ou il va.
Son objectif est de s enrichir en vendant de la pub. Ca n a pas changé.
Que ca fasse des degats collateraux n est pas son probleme du moment que ca n impacte pas trop le chiffre d affaire (et eventuellement son image car il semble avoir l intention de se lancer dans la course a la presidence des USA coté democrate).
Apres tout pourquoi lui demander d etre plus moral que le PDG de lactalis chez nous ? Il est quand meme plus grave de vendre du lait contaminé que de pomper les données que les gens donnent volontairement.
Le probleme n est pas le PDG de facebook mais qu une majorite de veaux lui offrent leurs donnees volontairement. En attendant le moment ou il va etre obligatoire d avoir un compte facebook (pour ceux qui pensent que je delire, regardez ce qui se passe avec les telephones portables. Il n est pas legalement obligatoire d en avoir un mais ca devient de plus en plus difficile d y echapper vu que de nombreux services supposent que vous en etes doté (par ex pour vous envoyer un SMS afin de vous connecter a votre appli bancaire)
7 De v_atekor - 20/02/2018, 11:48
@bobx : après m'être investit presque vingt ans dans le LL, j'en arrive aussi à cette conclusion. Sous linux, on leur a filé le logiciel, le code, donné des garanties de stabilité, des garanties de confidentialité, une utilisation plus simple que windows (ils viennent de découvrir les dépôts, mazette ;le fil a couper le beurre c'est pour bientôt... ), on leur enlève les antivirus... et à la fin quoi ? "Il est où le bouton démarrer" ? bêêêêê.... De temps à autre on rêve d'un bon méchoui.
8 De Pierre - 24/02/2018, 12:12
Hello Tristan, merci pour cette analyse sur l'évolution de Facebook et les deux vidéos.
Je vais aller regarder cela avec attention.
Pierre