Ce matin, j’ai lu avec émotion un très beau billet d’Olivier Affordance Ertzscheid, une lettre ouverte à Anne Frank, où il s’indigne que le Journal d’Anne Frank ne s’élève pas dans le domaine public en janvier 2016 comme prévu, car les ayants-droits l’en empêche. Olivier publie donc sur son site la version électronique du livre d’Anne Frank et appelle les internautes à faire de même. Plusieurs blogueurs se sont joints à l’appel d’Olivier. J’ai suivi l’affaire sur Twitter et j’ai relayé l’information.
J’allais mentionner cela dans mon prochain En Vrac, quand je suis tombé sur un avis plus nuancé, celui de Rémi Mathis, ancien président de Wikimedia France et de facto bien impliqué dans ce sujet. J’ai vu les tweets de Rémi, qui semblait grincheux et pour tout dire, à contre-courant, sans que je comprenne pourquoi.
Et puis j’ai lu le billet de l’excellent Jef Mathiot, et je suis tombé de ma chaise. Je suis retourné lire les tweets de Rémi Mathis, que je republie ici avec son aimable autorisation, édités de façon à les rendre un peu plus lisibles, car rédigés, d’après Rémi alors qu’il était en retard à un rendez-vous :
Une information a été diffusée comme quoi le Journal d’Anne Franck ne serait pas dans le domaine public en 2016. D’abord cette info n’est pas de Livres Hebdo mais des ayants droits d’Anne Franck. Livres Hebdo la reprend sans critiquer ni analyser.
Je comprends que ces ayant droits veuillent continuer à faire fructifier leur rente mais permettez-moi d’être très étonné : ils se fondent sur le fait que, au-delà des 70 ans, la publication posthume change tout. Or, ce n’est pas le cas (CPI L123-4). Le Journal a été publié en 1947 (certes modifié par le père d’Anne Frank). Mais même la version “originale” date des années 1980 et les 25 ans de droits exclusifs sont donc finis (outre l’ironie d’une situation où les ayant droits réclament des droits exclusifs à partir de la date de la publication de la version… non expurgée par eux-mêmes, considérée comme une pré-publication à ne pas prendre en compte).
Bref, l’argumentation sur le posthume est incompréhensible. L’autre argument est de dire qu’il y a eu le travail d’éditeurs scientifiques. Oui, c’est vrai et il ont (peut-être, cf jugement IRHT) des droits… sur l’édition qu’ils ont donnée, pas sur le texte lui-même ! Il suffira donc de donner une nouvelle édition sous licence libre ou peu évoluée pour que cette question ne se pose pas.
Bref, je ne vois pas autre chose dans ce texte qu’une campagne de désinformation - jusqu’à preuve du contraire.
Voilà. J’applaudis la démarche d’Olivier Affordance Ertzscheid, qui a ainsi aidé faire connaitre l’approche, pas très glorieuse, des ayants-droit d’Anne Frank. Mais il n’est pas, si je comprends bien la situation, nécessaire d’avoir recours à la désobéissance civile pour mettre à disposition du public une oeuvre qui sera élevée dans le Domaine Public au 1er janvier 2016. Si les ayants-droits réussissent leur coup et contourne la loi, vous pourrez alors compter sur moi pour agir en conséquence, comme Olivier et consorts le font aujourd’hui.
Ah, et si, comme moi, vous avez envie de soutenir le domaine public, je vous encourage à aller voter pour les amendements de Republique-numerique.fr qui vont dans ce sens. Je les ai listés dans un récent billet.
7 réactions
1 De v_atekor - 08/10/2015, 12:26
Heu... et donc ? Ça ne change rien. La loi s'applique, et les ayants-droits râleront mais ne se risqueront pas un procès qu'ils perdraient à coup sûr. La VO du livre se retrouvera sur Common et sera ensuite traduite librement... (car la traduction française ne tombe pas dans le domaine public, et tout porte à croire que si le traducteur avait 40 ans en 1947, il faille attendre 2046, sauf à retraduire en ce qui est fort possible mais demandera un travail certain)
2 De v_atekor - 08/10/2015, 12:30
"Mais il n’est pas, si je comprends bien la situation, nécessaire d’avoir recours à la désobéissance civile pour mettre à disposition du public une oeuvre qui sera élevée dans le Domaine Public au 1er janvier 2016. Si les ayants-droits réussissent leur coup et contourne la loi, vous pourrez alors compter sur moi pour agir en conséquence, comme Olivier et consorts le font aujourd’hui."
Là tu te plantes complètement. Ceux qui vont tirer les premiers, ce ne sont pas des "civils désobéissants", mais les éditeurs concurrents, pour sortir une version poche expurgée au prix du papier. (ou sur tablettes pour ceux qui aiment la technique mais pas lire)
3 De Mat - 08/10/2015, 13:21
Pour moi, point besoin de désobéissance civile (dans ce cas), Il existe bien d'autres livres à lire et l'on peut se permettre de bouder celui là.
Cela serait comme vouloir obtenir une licence gratuite d'un OS propriétaire alors qu'ils en existent des libres (et meilleurs).
Gagnons du temps et fuyons les conflits.
Par contre n'hésitons pas à diffuser l'information.
4 De cdg - 08/10/2015, 15:13
Il y a des fois ou la voracite des ayant droit se retourne contre eux... Car la il s agit bien purement de continuer a faire de l argent sur le dos d une gamine morte dans un camp ...
C est plus proche de la realite que le discours habituel sur les createurs qui ne touchent quasiment rien et ne peuvent vivre de leur art (ce qui est vrai mais n a pas attendu le numerique pour etre un probleme)
Le probleme c est que notre gouvernement prend fait et cause pour les ayant droit vu leur pouvoir de nuisance mediatique (et probablement plus si on considere le nombre de politiciens ayant des relations avec des actrices)
5 De JulienW - 08/10/2015, 20:41
> Pour moi, point besoin de désobéissance civile (dans ce cas), Il existe bien d'autres livres à lire et l'on peut se permettre de bouder celui là.
Pas d'accord, ça reste une œuvre majeure et assez unique. Je serais prêt à la payer. Pour autant la démarche des ayant-droits n'est pas juste.
La comparaison avec les OS libres n'est pas légitime. Il n'y a que peu de rapport entre la volonté d'utiliser du logiciel libre pour plein de raisons (contrôler ce qui s'y passe notamment) sur une machine qui nous appartient, et celle de lire un livre dans le domaine public.
6 De ploum le juste - 09/10/2015, 08:54
un peu d'orteaugraf: "les ayants droit", pas "les ayants-droits"
7 De v_atekor - 11/10/2015, 12:03
@De Mat : "> Pour moi, point besoin de désobéissance civile (dans ce cas), Il existe bien d'autres livres à lire et l'on peut se permettre de bouder celui là"
En somme le principe de concurrence appliqué aux œuvres d'art et aux essais ! Mais qu'est ce qu'il ne faut pas lire !
On le refait : mieux lire JK Rowling que Montaigne puisque le premier est moins cher à l'achat.
Si on voulait démontrer les limites de l'approche concurrentielle on n'aurait pas pris un meilleur exemple. Cessons de lire Anne Frank pour les Shtroumph, ça fera pareil.