J'ai publié hier un rapide résumé de l'article de Steve Jobs sur les DRM (la version anglaise est sur le site d'Apple). Depuis, l'ami Vinvin en propose une traduction en français MàJ : Vinvin a baclé le truc en faisant juste un Google translate. Ma version est donc moins exhaustive, mais beaucoup plus compréhensible.
Il y a plusieurs choses qui clochent dans le discours de Steve Jobs, mais il est toutefois convaincant. C'est ce que les américains appellent le reality distortion field de Jobs. Autrement dit, son champ de distortion de la réalité, son charisme de vendeur. Le souci, c'est que ça marche mieux en vrai, sur scène (les fameuses keynotes), voire en vidéo que par écrit, justement parce que par écrit, on peur relire les arguments, passer outre les effets pour s'attaquer au fond du message, une fois la forme dépassée.
Par exemple, au paragraphe 9, Jobs considère que les utilisateurs ne sont pas verrouillés par les formats de l'iPod et d'iTunes. C'est faux.
- d'une part, les baladeurs lisent le MP3 beaucoup plus que l'AAC à ma connaissance. Et bien évidemment, quand on importe ses CD avec iTunes, c'est en AAC, pas en MP3. Pour éviter cela, il faut aller fouiller dans les préférences, ce que les utilisateurs normaux font rarement (d'autant moins que la notion de format de compression numérique leur est tout à fait étranger). Mise à jour : les commentaires m'indiquent que l'AAC est plus répandu que je l'imaginais (ou plutôt, plus répandu qu'à l'époque où j'ai pris la décision de tout coder en MP3 pour des raisons d'interopérabilité).
- d'autre part, si on importe beaucoup de CD, c'est parce qu'on a un existant. Mais la musique qu'on écoute, celle qu'on vient d'acheter, bien plus que celle qu'on a importé, et donc seuls quelques très bons titres surnagent. Et si on a acheté de la musique pour l'iPod, c'est forcément via le magasin iTunes, donc avec des DRM qui empêchent de passer à un système concurrent, sauf à accepter de tout perdre[1].
- Enfin, Steve Jobs considère dans son calcul que tous les iPods vendus sont encore utilisés. C'est oublier un peu vite l'effet de mode, le fait que les batteries vieillissent et poussent au renouvellement. Autrement dit, on peut sûrement considérer que le chiffre de 3% est grossièrement sous-estimé.
Mais finalement, là n'est pas le gros du problème. Pourquoi Steve Jobs fait-il la critique des DRM, alors qu'il en est le premier bénéficiaire, vu son emprise sur le marché des lecteurs audios ? Pour Apple, les DRM sont des barrières à l'entrée qui empêchent les concurrents de se mesurer à armes égales à l'iPod et au magasin iTunes. Qui affirme une telle chose ? Des tas d'analystes, mais aussi la SABAM, équivalent belge de la SACEM : "La limitation d'utilisation de musique téléchargée d'iTunes n'a rien avoir avec les droits d'auteur ou la lutte contre le piratage. Il s'agit d'un choix de Apple, qui veut sans doute stimuler l'achat d'iPods plutôt que d'autres lecteurs mp3.".
Certains pensent que Steve Jobs détecte un changement dans l'industrie et veut laisser penser qu'il en est à l'origine pour cultiver le mythe. Ca n'est certes pas exclu...
Pourtant, je pense que l'intervention publique de Steve Jobs dans le débat a un effet. Car Jobs n'est pas qu'un observateur du marché, c'est surtout un des acteurs les plus puissants, du moins dans le domaine de la musique. Le fait qu'il dénonce les DRM et démontre qu'ils sont imposés par les majors, met ces dernières dans une position encore plus délicate vis à vis des clients, et peut pousser à la prise de conscience par les consommateurs qu'on se moque d'eux. Accessoirement, on peut aussi y voir une démarche hypocrite, celle du type qui dit "c'est pas moi, c'est lui", en pointant du doigts les majors, s'offrant ainsi une virginité à peu de frais.
Une dernière hypothèse émerge dans mon cerveau parfois trop favorables aux théories de la conspiration... Et si Apple avait compris que l'inclusion des DRM dans Vista était mauvais pour le business ? Car on ignore encore comment Apple va procéder pour permettre à ses machines de lire du contenu Haute Définition. Vista, pour sa part, a joué la carte d'Hollywood en bridant complètement le système, à tous les niveaux (périphériques, logiciels pilotes, chiffrement à tous les étages et certification et possibilité de révocation à distance de chacun des composants). Où en est Apple sur ce problème ? Vont-ils eux aussi plier l'échine face à Hollywood ? Ou bien préfèrent-ils voir les DRM s'écrouler au niveau de l'industrie musicale, en espérant voir la même chose arriver pour l'industrie cinématographique ? Je sais que ça peut sembler capillotracté. Mais il y a plusieurs années, rares étaient ceux qui croyaient possible que les ordinateurs seraient bridés par l'entreprise qui les contrôlaient. Et pourtant, Vista est sorti, avec les tristes limitations qu'on lui connaît.
Notes
[1] note : j'ai appris et testé récemment qu'en exportant sur CD vierge la musique achetée en ligne et sans éjecter le disque, on pouvait la réimporter sans perdre les meta-données (titre, album, artiste, genre). Par contre, on y perd très probablement en qualité au passage.