Le logiciel libre est une condition nécessaire (mais pas suffisante) pour avoir le contrôle et la maîtrise de l’informatique que nous utilisons. En effet, il est possible d’accéder au code du logiciel libre pour l’analyser, l’auditer, comprendre son fonctionnement et finalement se l’approprier en le modifiant si nécessaire. Cette transparence du logiciel libre est garante de la confiance que l’on pourra lui accorder.

À l’inverse, le logiciel propriétaire est une boite noire : on ne sait pas exactement ce qui est fait par ce logiciel. L’utilisateur en est réduit à croire sur parole le fournisseur du logiciel, lequel, pour différentes raisons, peut avoir introduit dans le produit fourni des portes dérobées, soit pour des raisons mercantiles, soit sous la pression de services de renseignements, soi à son insu.

Si le logiciel libre est infiniment supérieur au logiciel propriétaire pour ce qui est de la transparence, il a d’autre défis à relever, en particulier autour de l’ergonomie et du modèle commercial.

l’expérience utilisateur

Bien trop souvent, les logiciels libres souffrent d’un déficit d’ergonomie. Dans le jargon informatique, on parle d’« expérience utilisateur » (UX, User Experience) imparfaite. Ca n’est pas simplement un problème d’esthétique, mais plutôt de simplicité et d’intuition quand il s’agit d’accomplir une tâche avec le logiciel en question. Ce sont des questions qui touchent à la facilité d’usage, à l’évidence de l’interface, au fait que l’utilisateur n’a pas à réfléchir (ou le moins possible) pour se servir de l’outil.

C’est un sujet difficile à aborder pour la plupart des projets de logiciels libres, et ce pour plusieurs raisons.

D’une part, les développeurs de logiciels ont tendance à avoir internalisé le fonctionnement du logiciel sur lequel ils travaillent. Du coup, pour eux, il est évident qu’il faut passer par l’étape 1 avec de faire l’étape 2 puis la 3. C’est normal, ils ont eux-même conçu le logiciel. Ils connaissent son fonctionnement de l’intérieur.

Par contre, l’utilisateur final n’a pas cette connaissance intime du produit et de son architecture. Il a donc besoin d’être guidé autant que possible, besoin qu’on ne lui offre pas trop d’options inutiles à cette étape du processus.

Par ailleurs, les développeurs ont souvent un parti-pris pour des approches qui sont très efficaces mais qui peuvent rebuter l’utilisateur final. Je prends un exemple : la ligne de commande, ce mode d’interaction avec l’ordinateur qui consiste à taper des commandes dans un « terminal » au lieu de cliquer sur des boutons avec une souris. La ligne de commande peut-être formidable de puissance par sa concision. Elle peut aussi être reproduite facilement et programmée dans des « scripts ». Pour toutes ces raisons, elle est souvent très appréciée des développeurs. Mais voilà, elle rebute l’immense majorité des utilisateurs. C’est une parfaite illustration de ce fossé qu’il faut combler entre développeurs et utilisateurs, faute de quoi l’investissement réalisé par le projet libre pour créer une bonne technologie ne deviendra pas un bon produit capable de concurrencer des logiciels propriétaires.

Pour cela, il faut avoir que l’expérience utilisateur soit une préoccupation permanente au sein du projet de logiciel libre, et ce dès le début de ce projet.

Imaginer de voir travailler des développeurs et des UX designers ensemble pour faire du logiciel libre n’est pas quelques chose d’impossible. L’expérience utilisateur a été un grand facteur de différenciation pour le navigateur Web Firefox, ce qui lui a permis de concurrencer Internet Explorer. La distribution GNU/Linux Ubuntu a fait de l’ergonomie son cheval de bataille et a permis son adoption par des personnes qui n’auraient pas pu, auparavant, utiliser Linux.

Des applications Web libres comme l’outil de blog Dotclear et plus récemment, Known ont brillamment démontré que libre et ergonomie n’étaient pas antinomiques. Dans les deux cas, cela a été rendu possible par la collaboration de UX designers et de développeurs.

L’épineux problème du business model

L’utilisation de logiciels libres implique une (petite) contrainte pour l’utilisateur : comprendre comment le logiciel en question est financé. Puisqu’a priori ça n’est pas via la collecte de données personnelles, comment le projet peut-il vivre ? Certains projets, comme Dotclear, cité plus haut, sont 100% non-lucratif et reposent sur le travail de bénévoles. Cela peut permettre à un tel projet de survivre, pour peu que l’équipe soit motivée. Malgré quelques aléas, Dotclear va bientôt fêter ses 12 ans.

A l’inverse, le projet Wikipédia, qui est un projet libre (d’encyclopédie plutôt que logiciel), a besoin de revenus pour payer l’infrastructure (serveurs, location de data-center, connexion à Internet) et ses permanents. Pour cela, Wikipédia fait régulièrement des appels aux dons. Cela en fait une encyclopédie gratuite… pour laquelle il faut faire des dons.

De nombreux projets de logiciels libres reposent sur les dons, et il appartient aux utilisateurs de ces logiciels de donner régulièrement pour que les projets soient pérennes. Pour ma part, je donne quelques dizaines d’euros par mois à ces projets. C’est toujours moins que mon abonnement Internet, et tout aussi important. Je vous encourage à donner en fonction de vos moyens, mais si tout le monde donnait 3 EUR par mois, nos logiciels seraient bien meilleurs !