Je veux bien sauver la planète, mais vous auriez un moyen pour que je ne change aucune de mes habitudes ?

Dessin de Marc Dubuisson

J’ai eu une discussion passionnante sur Twitter (une fois n’est pas coutume !)

Je posais la question suivante :

Il y a un mot que je cherche, celui qui désigne le fait que nous vivons de façon civilisée (à peu près), c’est à dire le contraire du chaos. Si l’humanité sombre dans le chaos climatique et que l’humain survit (un peu) qu’aurons-nous perdu ? C’est ce mot que je cherche.

Les réponses ont été nombreuses et souvent constructives, (les autres étaient souvent drôles), et ça m’a fait réfléchir. Petit tour d’horizon :

Souvent, on m’a proposé le mot ordre (le contraire du chaos), mais c’est un peu réducteur et peu compréhensible, trop abstrait. Par exemple, on peut considérer qu’une dictature offrirait de l’ordre à ses citoyens. Mais on aurait perdu au passage la démocratie et la liberté. Et puis l’ordre ne dit rien sur des sujets importants comme la solidarité, la sérénité, qui me paraissent importants.

Le mot civilisation est aussi souvent revenu. On peut s’imaginer dire “si le chaos s’installe, on va y perdre notre civilisation”, mais deux compréhensions sont possibles :

  1. Cela peut signifier “on va y perdre notre coté civilisé”, et c’est très proche de ce que je veux dire : les avancées de notre société vont se perdre, et je ne le souhaite pas. Bien sûr, la société occidentale est très imparfaite, mais il y a des choses, des acquis, qu’on veut vouloir conserver alors qu’elle évolue. Je pense par exemple aux institutions qui permettent la solidarité (assurance chômage, sécurité sociale), l’éducation bon marché, etc.
  2. Cela peut aussi dire “la civilisation occidentale va disparaitre”. Et là, au contraire, c’est peut-être quelque chose de souhaitable, tout bien réfléchi. Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, notre mode de vie n’est pas du tout soutenable. Vouloir ne rien changer est contre-productif. Il va falloir changer plein de trucs, en particulier notre rapport à l’énergie et à la consommation en général. Et je pense que ces changements, qui semblent difficiles aujourd’hui, ne sont pas si compliqués que cela. À l’inverse, il y a plein de choses formidables en occident au XXIe S. Que je souhaite conserver dans le futur.

On m’a à plusieurs reprises suggéré le mot humanité. Le problème, c’est que le mot humanité peut aussi bien couvrir ce qui fait que nous sommes humains et les traits les plus nobles de l’humain, le rire, la solidarité, le débat, le monde des idées. Mais cela peut aussi designer l’espèce humaine, ce qui crée de l’ambiguïté. En effet, on pourrait dire ou écrire “suite à l’effondrement climatique, l’humanité a perdu toute humanité”.

Plus créatif, amadmaxia, (merci Mac Loyat), « du grec : madmax avec le a privatif devant et le a derrière pour faire mot grec ».

Plusieurs ont suggéré neguentropie, concept cher à l’ami Bernard Stiegler, mais comme le dit Sylvain, « personne ne comprend ». Idem pour le contraire de l’anomie de Durkheim.

On m’a aussi parlé de société, mais c’est trop peu précis : une société peut être plaisante à vivre et sophistiquée, ou au contraire très inconfortable et rustre. Il faudrait préciser. C’est un peu comme pour vivre ensemble. On peut vivre ensemble de façon contrainte et pénible (par exemple en prison) ou bien vivre dans la liberté et le bonheur.

En fait, il faudrait faire une périphrase, prendre un de ces mots et le préciser, cela pourrait donner « notre capacité à vivre ensemble sereinement et en solidarité », que j’ai suggéré.

Et puis cette conversation m’a rappelé un livre que j’ai adoré, Prospérité sans croissance de l’économiste anglais Timothy Jackson. Tim Jackson parle de prospérité.

Prospérer, c’est à la fois réussir dans la vie et se sentir bien dans sa vie (…), les choses vont bien pour nous et pour ceux que nous aimons. (…) La prospérité évoque l’élimination de la faim et l’idée que tout le monde puisse avoir un toit, la fin de la pauvreté et de l’injustice, l’espoir d’un monde sûr et pacifique.

Il continue :

La possibilité du progrès social nourrit le sentiment rassurant que les choses s’améliorent – et si ce n’est pas toujours pour nous, au moins l’est-ce pour ceux qui viendront après nous. Une société meilleure pour nos enfants. Un monde plus juste, où les plus défavorisés pourront sortir de l’ornière.

Peut-être est-ce ce terme qu’il faudrait conserver pour désigner ce qu’on perdrait en cas d’effondrement climatique, notre prospérité, telle que Tim Jackson la définit ?