De trop nombreuses discussions à propos de technologie tendent à se polariser, et ça a le don de me rendre dingue. Il suffit de dire le mot 5G pour que ça parte en vrille. Mais je vous rassure, ça marche aussi avec le nucléaire !
D’un coté, les gens de l’industrie, forcément pour la technologie en question. On peut les croire influencés par le principe d’Upton Sinclair, qui affirme très justement qu’il est très difficile d’expliquer quelque chose à quelqu’un quand il est payé pour ne pas le comprendre.
De l’autre, des gens, au mieux qualifiés de techno-critiques (quand on est de leur avis) ou de tas de noms d’oiseaux (bobos, khmers verts, mangeurs de quinoa, amish, hommes des cavernes etc.).
Le problème des deux catégories, techno-béats contre techno-critiques, c’est que tout dialogue est impossible. Personne ne veut changer d’avis, tout le monde est persuadé d’avoir raison, on ne cherche plus à réfléchir, on veut juste montrer que l’autre bord a tort, puisqu’il est con.[1]
Le problème, c’est que ça n’est pas en essayant de trainer les autres dans la boue sans l’écouter qu’on va réussir à mieux comprendre comment résoudre les problèmes que nous devons affronter.
Il faut écouter l’autre, et le convaincre de nous écouter. Confronter nos idées, les sourcer, avec une approche rigoureuse et scientifique.
Il faut oser dire quand on ne sait pas, plutôt que redoubler d’invective pour camoufler les béances de notre savoir. Il faut faire preuve d’empathie (pourquoi l’autre me tient-il ce discours qui me parait aberrant ?).
Il faut être prêt à changer d’avis. À comprendre le contexte, à l’élargir. À arrêter d’être amoureux de ses idées comme si elles étaient les seules qui méritent d’être exprimées et partagées. À remettre en cause nos schémas de penser. À réfléchir en grand-angle, à avoir un regard critique sur nos certitudes.
Il faut être prêt à devenir non plus techno-béat ou techno-critique, mais techno-lucide, et voir les avantages d’une technologie (il y en a presque toujours) et ses inconvénients, en tenant compte d’un contexte large, comprenant autant les usagers, les futurs usages, que les externalités négatives sur l’ensemble du cycle de vie du produit ou du service.
Alors que l’humanité entre dans une phase de turbulences multiples (Covid, récession, changement climatique, effondrement de la biodiversité), nous avons plus que jamais besoin de trouver rapidement les meilleures solutions à ce que nous rencontrons.
J’essaye de le faire, je souhaite que vous fassiez de même.
Note
[1] On se souviendra de Desproges, qui démontrait que l’ennemi est con, puisqu’il pense que c’est nous l’ennemi alors que c’est lui !
10 réactions
1 De A.G - 05/10/2020, 08:42
Merci pour cette tentative d'apaisement toujours bienvenue.
Je me demande si la problématique n'est pas liée à 2 points amont liés à Internet, et en particulier les réseaux sociaux (RS) :
- On a souvent l'impression d'être "informé" sur tout un tas de sujets alors que si l'on n'a en fait juste une vision "de surface" ; on est bien souvent "juste au courant" d'un aspect. (ex: 5G le volet politique ou le volet technique ou le volet économique ou le volet énergétique...)
- Plus l'effet classique les RS qui permettent à tous de s'exprimer, et rendent donc visible des avis et positions (souvent inamovibles) qui avant restaient cantonnées au bar/au repas dominical/... et qui se double d'un affichage public qui ne facilite pas les changements d'avis...
C'est donc probablement - comme souvent - un ensemble de causes qui produise ce type d'effet...
Sur la 5G il faudrait donc commencer par se renseigner, tous, collectivement, de mon coté j'ai (entre autre et de mémoire) écouté/lu :
- https://www.franceculture.fr/emissi...
- https://www.pseudo-sciences.org/Dan...
- https://twitter.com/PartiPirate/sta...
- https://www.franceculture.fr/emissi... (pas encore écouté)
Ça appelle un en-vrac édition 5G...
2 De Stéphane Bortzmeyer - 05/10/2020, 09:42
C'est vrai que si on pose le débat en termes simples et binaires (« êtes-vous pour ou contre la 5G »), on a forcément un débat crispé et qui ne va pas très loin (et où beaucoup d'arguments sont faux voire absurdes). Pour sortir de ce verrouillage, il faut aussi se demander de quoi on débat. Par exemple pourquoi tant de discussions et de prises de positions sur la 5G, comme si le numérique (sans même parler du reste) ne soulevait pas d'autres questions. La discussion sur la 5G sert souvent de diversion.
Souvent, le plus intéressant dans un débat est ce qui n'est PAS cité : par exemple, quand on parle de la consommation énergétique du numérique, il est rare qu'on cite la publicité, responsable d'une bonne partie du poids et de la conso CPU des pages Web. Si on veut diminuer l'empreinte environnementale, installer un bloqueur de publicités est la première démarche.
3 De Vincent - 05/10/2020, 10:12
Tu as raison : c'est bien de chercher à être intègre, mais l'intégrisme appliqué aux autres ne passe pas, puisque chacun évolue en fonction de son contexte propre.
Concernant la technologie - et plus largement les usages qui en sont faits - mon sentiment est que c'est la sur-application à grande échelle qui génère le plus d'impacts négatifs.
Parce qu'alors elle ne laisse plus de place à des alternatives, entraînant une situation de déséquilibre - les déchets et/ou dégâts collatéraux ne sont plus compensés - , mais aussi simplement car elle perd toute dimension humaine et n'est plus maîtrisable.
Fais l'exercice, cela me semble applicable à n'importe quelle technologie...
4 De r0m1 - 05/10/2020, 14:06
Merci pour cet article, et pour ton blog en général, où les opinions exposées ne sont justement pas des tout blanc ou tout noir. Si je peux me permettre un petit commentaire, je pense que le biais de confirmation (1) joue pour beaucoup dans ces "guerres de clocher" pro-quelque chose vs anti-quelque-chose (ou le quelque-chose peut être la 5G, le nucléaire, emacs / vi, ou même des sujets non techniques).
Tout le monde a la "confirmation" que son avis est le meilleur, simplement en ignorant les données qui corroborent l'avis de l'autre.
Un bon point pour la citation de Desproges, je ne la connaissais pas
1: https://fr.wikipedia.org/wiki/Biais...
5 De Xavier - 05/10/2020, 14:28
Cela me ramène un court billet de bd-blog d'une française, lu il y a quelques années, dans lequel la protagoniste, après avoir beaucoup discuté à bâtons rompus d'un sujet et tenté de convaincre en vain, se rend compte une fois seule dans son lit qu'elle s'était trompée. Et de sourire de cette étincelle, en se disant que c'est agréable d'avoir eu tort -- et de s'en être rendue compte
6 De Siko - 05/10/2020, 14:31
Le débat, télévisuel ou sur d'autres médias, ne se prête pas à la réflexion. Il n'est pas fait pour ça.
Chaque invité est présent car il défend une idée. On l'invite même pour ça.
Personne ne cherche à trouver une solution à un problème commun.
L'empathie n'est malheureusement pas de mise sur les plateaux télés et les autres supports.
Parfois j'imagine qu'un intervenant va écouter activement son interlocuteur, comprendre et faire avancer sa pensée. Je n'imagine même pas qu'il change d'avis, mais au moins qu'il progresse.
Faire bouger les lignes, c'est déjà un beau projet.
7 De RastaPopoulos - 06/10/2020, 00:02
Si on en est encore à "oui mais cette techno à des avantages" et de l'autre "oui mais cette techno a des inconvénients", en 2020, bah on n'est pas sorti du sable…
Cependant il ne me semble pas que ce soit tant que ça le cas. La majorité du temps, les technocritiques voient parfaitement les avantages de telle technique en particulier, mais pourquoi insisteraient-elles pour les lister alors que justement c'est déjà ce qui est listé partout, ce dont il y a la pub partout ? Le temps est donc passé à argumenter sur les inconvénients qui vont venir avec, et sur le fait que ceux-ci ont parfois (souvent ?) l'air plus lourd, plus important, plus dangereux à long terme, que les avantages vendus.
Ça fait plus de 50 ans que Jacques Ellul a montré que toute technique, et plus encore toute technique complexe, est *ambivalente*, et vient avec un tout, d'avantages (dans la plupart des cas rapidement visibles et publicisés) *et* d'inconvénients (parfois très graves, et qu'on ne voit qu'après un certain temps). Les deux, toujours. Il s'agit donc de faire de la politique, et non de la technocratie, c'est-à-dire permettre aux gens, de faire la balance, et de décider (c'est un des points principaux : la non démocratie, qui décide de l'innovation et de suivre ou pas telle direction) de vivre ou pas avec des risques qui iront forcément avec. Risques qui ne sont que rarement résolus avec une autre technique future qui viendra corriger, Ellul a montré aussi qu'à peu près toujours, on ajoute des problèmes plus importants et plus complexes encore, à ce qui précède.
Bref, c'est pas l'un ou l'autre. Mais les deux. Et on doit faire avec, et prendre des décisions en conséquence.
8 De Nicolas - 06/10/2020, 13:41
Une vidéo de Jean-Lou Fourquet très éclairante sur ce thème
https://www.youtube.com/watch?v=Dfb...
9 De goundoulf - 12/10/2020, 14:39
Très bon billet !
Les raisons pour lesquelles on a telle ou telle opinion sur un sujet peuvent être multiples et variées :
- parce que c'est cohérent avec d'autres opinions qu'on a déjà (ex: les anti-OGM sont généralement anti-nucléaire, anti-linky, anti-vaccins, et pro-vaccins, pro-agriculture-bio...)
- parce que notre entourage pense de cette façon (on a une opinion sans même y avoir réfléchi, parce qu'on est entourés de gens qui pensent comme ça ; y'a sans une doute part de volonté d'appartenance au groupe également)
- par principe (ex: je suis contre la façon dont on impose le Linky, donc il ne peut rien y avoir de positif au Linky ; ou : l'idée est poussée par le gouvernement, or j'ai pas confiance en lui, donc c'est une mauvaise idée...)
etc...
J'avais vu passer une étude qui expliquait qu'on pouvait uniquement être convaincus par des gens similaires à nous, et qui avaient déjà presque la même opinion sur le sujet. Imaginons une échelle de 0 à 10 où 0 est anti-nucléaire et 10 pro-nucléaire. Quelqu'un qui est à 8 n'a aucune chance de convaincre une personne qui est à 2. Par contre, quelqu'un qui est à 5 peut convaincre une autre entre 4 et 6. (C'est un résumé très simplifié et de mémoire)
De plus en plus, je pense qu'une opinion sur un sujet est le reflet de tout ce qu'on a vécu depuis notre naissance, et lu, vu ou entendu des sources auxquelles ont fait confiance. Il y a donc peu de chance de changer d'avis en discutant 10 minutes avec quelqu'un...
10 De Nathanaël - 16/10/2020, 23:05
Bonjour,
à l'écologie, aux questions du moment liées à la pma (sans père?), aux chymères, à l'avortement (jusqu'à 9 mois?), au drame de l'immigration (le nombre de morts élevés en mer!), aux personnes sans domicile (cf. La question de ce jour du responsable de la fondation Abbé Pierre, comment ceux qui n'ont pas de maison respecteront le couvre-feu), aux guerres dites "juste" (Irak, Lybie), à la laïcité, à etc... Ah si un petit dernier pour la route : la théorie du complot o_O
Merci pour ce billet qui invite à une réflexion plus élevée, à une meilleure estime des autres, et qui cherche à pacifier les incompréhensions.
Je peux dire que j'ai expérimenté ça plusieurs fois cette crispation des parties prenantes sur leur avis, sur leur position (et parfois quand j'étais ado, jeune adulte je campais bien sur ma position), et que je trouve bien de la paix et des relations plus riches à faire comme décrit dans cet article.
D'ailleurs les conseils de ce billet peuvent sont bon à prendre pour tout un tas d'autres sujets aussi... Comme catholique je pense (en vrac
Merci pour cette incitation !