Face à l’épidémie de Covid-19, au confinement qui s’éternise (plus de trois semaine au moment où j’écris ces lignes), nombreux sont ceux qui se demandent comment le numérique, et les applications pour smartphones en particulier, pourraient aider gagner cette « guerre » contre le virus. D’aucuns pointent les pays qui ont mis en place de tels moyens en place et se demandent comment la France pourrait les imiter.
C’est un sujet sur lequel j’ai eu l’occasion de travailler au sein du comité national pilote de l’éthique du numérique, lequel vient de publier un premier bulletin sur le sujet. Ce matin, j’étais invité sur le plateau de LCI (photo ci-dessus) pour en débattre. Les textes écrits à plusieurs mains et les débats télévisés étant ce qu’ils sont, il me semble judicieux de livrer ici le fond de ma pensée, avec mes mots à moi.
Je pense que nous sommes dans une période où il faut être particulièrement prudent car le contexte est assez unique.
Une situation tendue
Nous sommes dans une situation très particulière. En effet :
- Les français sont prêts à tout pour vaincre le virus car il fait peur à juste titre ;
- Les français espèrent une sortie aussi rapide que possible du confinement qui leur pèse personnellement et économiquement ;
- Le gouvernement doit démontrer son action et son leadership dans cette situation particulièrement difficile.
Par conséquent, la majorité des français est prête à signer un chèque en blanc et ainsi sacrifier beaucoup dans l’objectif de sortir du cauchemar Covid-19 aussitôt que possible.
Un enjeu colossal, la deuxième loi de Godwin
Décider ou non de mettre la population sous surveillance pour une noble cause (combattre le coronavirus) est lourde de conséquences. En effet, comme le dit Mike Godwin (l’inventeur du fameux point Godwin), “Surveillance is the crack cocaine of governments”. « La surveillance est une drogue dure pour les gouvernements ». Une fois qu’ils y ont goûté, impossible de s’en passer.
Un exemple tout simple confirme qu’en France, certains dispositifs temporaires peuvent durer : Vigipirate, créé en 1995[1] et toujours en vigueur aujourd’hui, au point même qu’il est entré dans le droit commun. C’était il y a vingt-cinq ans.
C’est à mon sens le plus grand danger : laisser l’épidémie nous convaincre d’accepter des limitation temporaires de nos libertés, mais avec un aspect temporaire qui dure indéfiniment.
Une large combinaison d’options technologiques et politiques
Dans ce contexte, différentes options s’offrent à nous. Il conviendra de choisir quelle type d’application est acceptable pour nous.
- Approche centralisée ou stockage de données sur les terminaux ?
- Approche visant la population dans son ensemble (anonyme)[2], ou visant chaque individu (nominatif) ?
- Approche à l’esbroufe (‘regardez, on fait quelque chose”) ou efficace quant à l’épidémie ? (“Regardez, ça marche !”)
- Approche propriétaire (code fermé) ou logiciel libre / open-source (code ouvert et auditable) ?
- Données stockées en clair ou chiffrement des données ? En cas de chiffrement, qui contrôle la clé ?
- App destinée à informer la police d’une violation du confinement ou à informer l’individu d’un risque de contagion ?
C’est sur ces options et sûrement d’autres que j’ai oublié qu’il va falloir juger l’intérêt d’éventuelles solutions applicatives.
Mettre en place aujourd’hui un système de pistage des individus n’est envisageable que si nous sommes sûrs qu’il est limité dans sa collecte de données, transparent, respectueux de la vie privée et surtout limité dans le temps, s’arrêtant dès que possible.
C’est sur la durée limitée du système qu’il nous faut être particulièrement vigilants. Nous éviterons ainsi, en France, de valider le coté prémonitoire des affirmations de Mike Godwin sur la surveillance.
Notes
[1] Pour l’attentat du RER St Michel.
[2] Déjà utilisée récemment, voir par exemple Confinement : l’exode urbain confirmé par les déplacements de nos téléphones.
10 réactions
1 De 38off - 08/04/2020, 21:09
Collecter les données sociales, mais pourquoi faire exactement ? Il peut être intéressant en début d’épidémie de remonter une chaîne de transmission en testant tous les individus pour peu que nous disposions de test. Mais sans test, à quoi cela peut-il bien servir ? Attendre le temps d’incubation et avoir toujours 1 à 2 semaines de retard sur le virus ?
Au stade actuel de l’épidémie, toute la population est sur la chaîne de transmission. La collecte de données sociales n’est plus un enjeu mais disposer de tests en masse est le sujet le plus urgent.
Pour ma part, mais c’est peut-être polémique, je pense que cette initiative n’est que démagogique.
2 De HMA - 08/04/2020, 21:32
Clairement, l'histoire montre que sur ces sujets, la marche arrière n'existe pas : le caractère temporaire est malheureusement illusoire à mon avis...
3 De yoko - 09/04/2020, 08:16
Une trace GPS permanente sur plusieurs jours n'est pas vraiment anonyme. Il est possible en particulier pour les autorités de savoir qui sont chaque point.
4 De mat - 09/04/2020, 12:41
Bien, si on veut y voir du positif:
-Un code open source.
-Un stockage des données sur le terminal (et pas du cloud).
-Une durée de vie prévue des données bien encadré.
-Chiffrement des données avec clé autocontrolée.
-Un libre choix.
Il ne serait pas prévu de géolocalisation.
On peut voir cela aussi comme une formidable occasion de faire avancer des idées qui tiennes à cœur.
Le big data existe déjà et est aux mains de sociétés privées. On fait tout ce qu'on peut pour y échapper. L'état pourrait tout au si bien passer un deal avec eux pour avoir des données similaires vu qu'une bonne partie de la population se laisse porter.
Je préfère un système collaboratif qui porte des valeurs intéressantes et qui ouvrirait des portes.
La marche arrière n'existe pas, mais elle pourrait exister question de volonté.
Les tests vont arrivés, certainement bien avant une application open source qui ne se fait en 2 coups de cuillères à pot.
Serait ce une première à ce niveau là (Etat)?
5 De Siko - 09/04/2020, 15:54
En plus des points mentionnés, on peut lire dans de nombreux articles que l'utilisation d'une application de tracking serait sur base du volontariat.
Je n'aime pas du tout cet idée de volontariat. Il suffira de dire que l'on ne souhaite pas utiliser l'application pour susciter le questionnement et la méfiance"
"Ah bon? Et pourquoi ne souhaitez vous pas être suivi? Qu'avez-vous à cacher?"
Tester massivement, soigner s'il y a un soin et isoler les personnes infectées; voila une solution qui me semble plus rationnelle.
6 De Leon - 09/04/2020, 17:06
De Siko : Je n'aime pas du tout cet idée de volontariat. Il suffira de dire que l'on ne souhaite pas utiliser l'application pour susciter le questionnement et la méfiance" : "Ah bon? Et pourquoi ne souhaitez vous pas être suivi? Qu'avez-vous à cacher?"
Pareil que Siko, je n'aime pas du tout cette idée. D'ailleurs ce midi, je ne sais plus sur quelle chaine (mode zap pour éviter le bourrage de crâne), un gus disait que la validation de l'autorisation de circuler pourrait être soumise à la présence de l'appli de tracking !
Bon, j'vais vomir dans mes chiottes.
7 De mat - 10/04/2020, 15:34
Le volontariat est préférable à l'imposé, si on part du postulat que c'est l'un ou l'autre. Imposé: cela peut être obligation de l'application ou l'interdiction de l'application.
Sinon effectivement il y a le rien du tout (ni imposé ni volontariat). Mais il faut accepter ce choix pour tout, on laisse l'épidémie passer. On impose pas de confinement On impose pas aux hopitaux une situation infernale.
Certains d'entre nous on fait le choix de ne pas utiliser google et consort. Avons nous des choses à cacher? OUI (même si c'est si peu).
C'est notre choix, on l'assume et on doit faire en sorte de le faire respecter. On ne s'en cache pas.
La variole n'a pu être éradiqué d'Afrique, d'Inde et finalement de la terre qu'avec du tracking (interogatoire fait à la main pour l'époque) pour ne vacciner que les cas contact vu que l'on avait pas assez de vaccin ou pas les moyens logistiques.
La première des choses est d'évaluer si cette application va effectivement permettre de juguler l'épidémie. Donc en plus de savoir si on l'utilise ou pas il y a le moment ou on va l'utiliser qui est déterminant. Si on a pas moyen de mettre en quarantaine et/ou de soigner et/ou de tester et/ou de vacciner. Elle ne servira pas à grand chose. Donc cela ne servira à rien de l'installer.
8 De Serge - 10/04/2020, 19:14
La question qu'il manque, et sans doute la plus importante, avant même de savoir si elle sera centralisée ou pas, c'est est ce qu'on veut ou pas de ce type d'app. Que ça soit du flicage centralisé ou pas, ça restera du flicage, pour une efficacité assez douteuse. Alors qu'a l'heure actuelle on a même pas suffisamment de masques, ni de tests de dépistage ...
9 De splach - 10/04/2020, 19:16
Salut. Merci pour c'est reflexions tes pertinentes. C'est clair qu'il fait des garanties plus que solides pour mettre en place un tel système. Veulent pas te faire un petit CDD pour que tu surveille ça ? :D
10 De eravion - 11/04/2020, 11:03
Bonjour Tristan,
Un "en place" en trop dans cette phrase
D’aucuns pointent les pays qui ont mis en place de tels moyens en place et se demandent comment la France pourrait les imiter