Voilà, le Conseil Constitutionnel vient de valider l’essentiel de la loi Renseignement. Oui, il y aura bien des boites noires en France destinées à surveiller des pans entiers de l’Internet français. Oui, la surveillance de masse (pas généralisée, mais de masse) est maintenant autorisée par la loi.

Le communiqué de presse de l’Élysée fleure bon la langue de bois comme jamais. Par exemple :

(La loi Renseignement) donne aux services de renseignement des moyens modernes et adaptés à la menace à laquelle nous sommes confrontés, tout en respectant les droits individuels et la vie privée.

Non, messieurs Valls et Hollande, la loi ne donne pas les moyens. Les services avaient déjà les moyens et les utilisaient illégalement, maintenant ils ont le droit de les utiliser. Ensuite ça ne va rien changer : les personnes ayant des choses à cacher (c’est à dire tout le monde) pourront avoir recours au chiffrement. Et enfin, les droits individuels et la vie privée sont bafoués comme jamais. Affirmer avec aplomb en boucle un mensonge éhonté n’en fait pas une vérité.[1]

Malgré des mois de lutte, avec cette union sacrée regroupant des acteurs du numérique, des associations, en passant par le CNNum, la CNIL, des dizaines de parlementaires, l’ONU ; malgré tout cela, le gouvernement a passé la loi en force, utilisant la procédure accélérée pour éviter de trop longs débats qui auraient pu mobiliser l’opinion publique.

Evidemment, tout cela laisse un goût amer dans la bouche et jette le discrédit sur des institutions déjà branlantes et met encore en évidence à quel point le gouvernement prétendument de gauche a perdu tous ses repères.

La lumière au bout du tunnel

Pourtant, il y a des aspects positifs dans cette boucherie législative qui malmène notre démocratie. Il convient de les garder à l’esprit, car il faut rester mobilisé contre les prochains assauts contre nos libertés.

La prise de conscience des citoyens

Tout d’abord, les débats ont bien eu lieu. Les français, encore sous le coup des attentats de janvier 2015, étaient favorables à la loi Renseignement. Et malgré la complexité du sujet, mêlant aspects informatiques et juridiques, malgré la procédure accélérée qui démontrait la volonté d’éviter la prise de conscience des citoyens autour de ces enjeux, celle-ci a bien eu lieu : un récent sondage (500ko, format PDF) démontre que les Français sont désormais fortement opposés aux moyens de la loi Renseignement. Comme le dit joliment le Figaro :

le projet de loi Renseignement qui devait passer comme une lettre à la Poste souffre d’un gros bourrage papier.

Sur les lois précédentes portant sur ce sujet (Loi de Programmation Militaire), ça n’était pas le cas. On progresse donc. Les français commencent à comprendre que leurs libertés tremblent sous les coups de boutoirs successifs de Manuel Valls et de Nicolas Sarkozy.

La surveillance internationale déclarée non-constitutionnelle

C’est la bonne nouvelle découverte dans Décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015 du Conseil Constitutionnel : surveiller les communications internationales n’est pas conforme à la constitution. Autrement dit, héberger nos données hors de France, pourvu qu’on s’y connecte de façon sécurisée, permettra d’échapper aux boites noires. C’est bien sûr, comme prévu, une mauvaise nouvelle pour la French Tech et l’emploi en France. On peut toutefois imaginer qu’on peut encore travailler avec des hébergeurs français dans la mesure où on demande à avoir nos données dans des datacenters situés à l’étranger (c’est le cas de Gandi, au Luxembourg, et d’OVH, présent dans plusieurs pays).

Conclusion

J’espérais bien sûr de meilleures nouvelles en provenance du Conseil Constitutionnel. Mais les choses sont ce qu’elles sont, et il faut rester mobilisés pour la suite. J’ai la terrible impression qu’il se dessine un modèle où l’État n’est plus au service des citoyens mais vise à protéger une minorité de puissants contre les citoyens. Pour cela, l’État se doit de contrôler le citoyen et la surveillance de masse est un outil vital à cet effet. Cette surveillance sera, avec la publication des décrets d’application de la loi Renseignement (déjà surnommée “Loi Rance”), légalement autorisée. Subséquemment, Il nous faut nous ternir prêts à lutter contre deux choses :

  1. l’extension de la surveillance de masse au delà du seul terrorisme (évitons l’extension de la brèche) ;
  2. la mise à mal du chiffrement, ultime rempart technologique pour notre vie privée. Il est fort probable que le gouvernement va tenter, comme Cameron au Royaume-Uni, ou la NSA aux USA, d’affaiblir le chiffrement en France.

Il nous faudra aussi soutenir ceux qui voudront attaquer la loi Renseignement auprès de la CEDH. Cela ne devrait pas tarder. En attendant, peaufinons nos systèmes de chiffrement !

Note

[1] Mais ça fonctionne assez bien avec les esprits faibles et/ou mal informés, avouons-le….