J'ai écris une tribune qui a été publiée aujourd'hui dans Les Echos (édition Web et papier). La voici, pour la postérité :
Stratégie numérique : ne nous trompons pas de combat
Arnaud Montebourg a récemment lancé l'idée de la construction d'une « stratégie numérique alternative » qui permettrait à la France de ne pas « devenir une colonie numérique ». A cet effet, un système d'exploitation français serait en projet. L'idée est intéressante, mais ne nous trompons pas de combat.
Certes, il y a urgence à agir : protection de la vie privée, liberté d'expression, éducation des générations futures... L'avenir économique et démocratique de la France se joue dans le numérique, dans ses infrastructures mais aussi dans ses plates-formes informatiques qui permettent à nos appareils de faire fonctionner des applications.
Or, depuis 2012, il se vend davantage de smartphones et de tablettes que de PC : la plate-forme que le ministre de l'Economie appelle de ses voeux devra donc toucher l'utilisateur chez lui et en mobilité. Cet usage mobile génère une masse de données personnelles qui est capturée par les plates-formes, sans aucun contrôle par l'utilisateur.
Il s'agit donc de construire une alternative aux plates-formes de Google, d'Apple et de Microsoft, et c'est un défi double : cette alternative doit reposer sur une technologie solide et disposer d'un écosystème applicatif riche. Construire une plate-forme est long, coûteux et sans intérêt si l'on n'attire pas de développeurs.
Un nouveau système d'exploitation national ne parviendrait pas à rattraper l'avance de ses concurrents - Windows et Mac sur les PC, Android et iOS sur les smartphones. Il ne résoudrait pas les problèmes auxquels la France est confrontée sur le terrain du numérique.
Pour séduire son 1,3 milliard d'utilisateurs, Facebook n'a pas écrit un logiciel pour Windows et un autre pour Mac. Facebook a écrit une application Web qui tourne dans un navigateur Web, lequel fonctionne sur PC et sur smartphone. Ce modèle est également celui de Wikipedia et de Google.
La France a une carte à jouer pour s'imposer à l'ère du numérique, c'est le Web. Il existe des dizaines de milliers de développeurs Web dans le monde, des centaines de milliers d'applications qui tournent déjà sur des centaines de millions de terminaux. Le système d'exploitation mobile qui fait tourner des applications Web est développé par Mozilla, il s'agit de Firefox OS.
Rappelons que Firefox OS est un logiciel libre, donc transparent et auditable. Deux caractéristiques essentielles qui répondent aux enjeux d'intelligence économique et de vie privée que l'affaire du programme de surveillance PRISM de la NSA a révélés.
Les grands opérateurs européens que sont Telefónica (Espagne), Telenor (Norvège), Deutsche Telekom (Allemagne) et TIM (Italie) ne s'y sont pas trompés : ils commercialisent des terminaux sous Firefox OS et travaillent de façon collaborative à son amélioration. Ils l'utilisent pour conquérir des parts de marché en Europe de l'Est et en Amérique du Sud, et desserrer l'étreinte du duopole Apple-Google.
J'espère que la France ne tardera pas à suivre leurs traces et à prendre une position de leadership dans ce domaine. C'est une chance formidable pour nos opérateurs et nos start-up de construire des offres locales et de créer des emplois.
Créer des services locaux est aussi le moyen de rétablir l'équilibre face aux services fournis par les géants américains. Leur centralisation et leur puissance leur ont permis de privatiser des parties stratégiques de cet espace, historiquement libre, qu'est le Web.
Décentraliser le Web, en redonner le contrôle aux utilisateurs, dynamiser l'entrepreneuriat dans l'économie numérique : Firefox OS est l'opportunité que la France doit saisir pour occuper la place qu'elle mérite dans le numérique. Et ce n'est pas un hasard s'il est en partie développé… en France.
7 réactions
1 De jpto - 11/06/2014, 12:21
Bonjour, j’approuve à 100% et j'espère que cette tribune à été transmise à Montebourd et à ses collègues en haut lieu ! J'attends de pouvoir acheter un smartphone Firefox OS.
2 De Alain Oguse - 11/06/2014, 14:47
Bravo Tristan ! De tout cœur avec toi.
Et je croise les doigts en espérant que nous finirons par en finir avec les stratégies d'arrière garde :
- Cyclades plutôt qu'internet.
- Minitel plutôt que l'ordinateur de M. et Mme tout le mode...
Courage, nous gagnerons. Et vive Mozilla !
3 De ran - 11/06/2014, 14:51
Je comprends que vous mettiez en avant Firefox OS mais les systèmes Mer, Tizen ou Ubuntu Touch n'auraient-ils pas mérité une mention ?
4 De Julien - 11/06/2014, 16:23
Go Tristan!
Que de bons points... mais il y aussi autre chose sur laquelle Montebourg doit pouvoir jouer: la réglementation.
On sait que les business models du web sont très souvent orientés vers l'exploitation des données personelles (pour ne pas dire privées!). Bien sûr il y a les "alertes aux cookies", mais les utilisateurs savent ils tous ce que cela veut dire? (non!).
Il faudrait des lois qui imposent à ces collecteurs de mieux informer les utilisateurs, dans leur language (presque comme les images des paquets de cigarette!), voir même leur imposer de laisser le choix à l'utilisateur entre une utilisation 100% gratuite mais financée par la pub (et donc les données personnelles échnagées) et une utilisation payante, sans aucun tracking ni pub. Ce n'est pas si cmpliqué à mettre en place...
5 De gun - 12/06/2014, 08:23
"Le système d'exploitation mobile qui fait tourner des applications Web est développé par Mozilla, il s'agit de Firefox OS.". Euh, c'est plutôt un vœu pieux, pas encore la réalité. http://www.theguardian.com/technolo...
6 De Romain - 12/06/2014, 19:01
Il est clair qu'il faut dynamiser l'existant et aider les entreprises, qui ont des projets, à les mener à bien. Cela semble bien plus constructif que de lancer des choses aussi folles que de pondre un OS français à qui veut bien l'entendre.
Le web est une merveilleuse création et n'en est finalement qu'à ses débuts. Nous devons nous battre pour qu'il reste aussi libre qu'à sa création. Et au passage, apporter la contribution de la France à l'édifice en mettant en avant nos start-ups.
Le développement du Cloud français, porté par des entreprises comme OVH, est un bon début pour laisser le choix aux utilisateurs de stocker leurs données personnelles ici plutôt que chez l'oncle sam.
Après concernant le business modèle du web, orienté vers l'exploitation de la vie privée, c'est un débat complexe. Il faudra un moment avant de trouver des solutions qui mettront tout le monde d'accord.
7 De cdg - 13/06/2014, 08:56
Bravo. Mais helas pour la plupart de nos politiciens le web c est l ennemi puisqu il permet de demolir une campagne de com bien rodee avec des moyens assez limites (regardez ce qui c est passe avec le referendum sur la constitution europeenne en 2005)
)
De toute facon est ce que Montebourg pense reelement creer un systeme d exploitation made in france. N est ce pas plutot un coup de com pour faire parler de lui et qui finira comme le google francais (lance par chirac ?)
Si Montebourg et plus generalement le gouvernement veut faire quelque chose, qu il commence par agir la ou il peut facilement le faire:
- faire utilise des logiciels open source dans l administration. Faire que les contrats passes avec les diverses SSII imposent de publier les sources (ca aurait par exemple ete interessant de voir le code de Louvois
Imposer de rendre accessible les donnees publiques (anonymisees). ca aurait permit de detecter des scandales comme le mediator avant
Mais mon petit doigt me dit que c est pas pret d arriver: nos dirigeants sont dans la communication et le brassage de vent, pas dans l action