Ceci est une interview de Daniel Glazman réalisée par messagerie instantanée le 31 mars 2010 alors que Daniel était à Cupertino (Californie) pour une réunion du CSS Working Group du W3C dont il est le co-chairman.
Tristan : Bonjour Daniel. Est-ce que tu peux te présenter rapidement ?
Daniel : Je suis un développeur tombé dans la babasse dans son enfance, et qui a eu dans sa vie deux chances immenses : travailler sur le Web avant que le Web ne soit connu d'une part, être un jour embauché par le rêve de tout développeur à l'époque, Netscape, pour travailler sur leur éditeur et leur moteur CSS. Quand AOL a fermé Netscape et que mes camarades de débauche Tristan et Peter se sont lancés dans l'aventure Mozilla Europe, j'ai préféré créer ma propre société Disruptive Innovations pour continuer mon travail sur l'éditeur, ce que je pouvais faire grâce à la licence MPL.
Tristan : Qu'est-ce que BlueGriffon ?
Daniel : A travers mon premier client Linspire, j'ai écrit Nvu, le seul éditeur WYSIWYG (x)html cross-platform conforme aux standards et open-source. Aujourd'hui, il est temps de faire apparaître un outil d'édition plus moderne, offrant la puissance des versions récentes de Gecko et les fonctionnalités de CSS 3 et HTML5. Cet éditeur est BlueGriffon. BlueGriffon est donc un éditeur (x)html moderne, basé sur les dernières versions de Gecko à travers Mozilla Xulrunner, le runtime de Firefox.
Tristan : Qu'annonces-tu aujourd'hui ?
Daniel : L'annonce, c'est que nous avons enfin trouvé des investisseurs pour nous libérer du service, et que la roadmap de BlueGriffon ne souffrira plus de notre besoin de trouver des contrats de service pour financer notre R&D. BlueGriffon est désormais la priorité numéro 1, au lieu d'être le produit que l'on développe quand on a le temps et qu'on a eu du service pour payer ce temps.
Tristan : Félicitations ! Comment vois-tu l'avenir de BlueGriffon, d'un point de vue fonctionnel ?
Daniel : Sa version de base reste un produit open-source distribué sous tri-licence MPL/GPL/LGPL et nous allons vendre des extensions (au même sens que les extensions à Firefox) pour l'éditeur de base. Il y aura de tout, des choses très simples mais cependant très utiles à très bas prix, et des extensions orientées bien plus "pro" pour des prix un peu plus élevés mais toujours à des coûts restant très faibles par rapport par exemple au coût d'un produit "on the shelf". Du côté des fonctionnalités innovantes dans BlueGriffon, je peux d'ores et déjà en lister quelques-unes:
- intégration de jQuery
- intégration des YUI grids
- éditeur de CSS offrant les dernières nouveautés de CSS 3 (transformations, ombres, transitions, animations, ...)
- full-screen
- possibilité d'éditer non seulement les styles en -moz-* mais tous les styles y compris pour webkit, opera ou ms
- un wizard de création de documents bien plus intuitif que ce que permettait Nvu
- l'intégration de Bespin pour l'édition des sources
- un éditeur de scripts, etc.
Tristan : Qu'est-ce qui différencie BlueGriffon d'autres éditeurs ?
Daniel : Un des buts de BlueGriffon est clairement d'offrir à la communauté l'éditeur WYSIWYG qui aujourd'hui manque. Nvu - et Kompozer qui est son bugfix[1] - sont aujourd'hui fondés sur une codebase ancienne, et obsolète. Il faut refondre totalement l'architecture du produit, pour utiliser des modules JSM augmentant drastiquement l'extensibilité du produit. Il faut disposer d'une documentation stable pour les éditeurs d'add-ons et surtout il faut offrir des personnalisations adaptant le produit à l'ensemble des usagers qui ont craqué pour Nvu et qui étaient TRES différents: des écoliers, des universités, des entreprises, etc.
Un des buts de l'amélioration de l'extensibilité est clairement la distribution au moment de la 1.0 de BlueGriffon d'un premier jeu assez étoffé d'add-ons d'une part, et l'ouverture de notre plate-forme de vente à des tiers d'autre part (que les add-ons soient gratuits ou pas, pas de ticket d'entrée chez nous). Nous voulons attirer un maximum d'auteurs d'add-ons, car l'écosystème du produit compte autant que le produit de base.
Un des effets de bords pourrait être une pression accrue sur les éditeurs de navigateurs : si un outil d'édition intuitif offre une UI permettant la création de documents utilisant les dernières nouveautés, il va falloir que la standardisation et l'harmonisation accélèrent un peu pour répondre aux demandes des Web Authors. Bref, c'est du gagnant-gagnant.
BlueGriffon est clairement un produit, édité par une entreprise. Mais c'est aussi un produit open-source, qui a un but pour la communauté. On reste fidèles à nos principes Etonnant, non ?
Tristan : Te connaissant, non . Quid de la concurrence avec Kompozer ? Ne crains-tu pas que les deux logiciels se gênent mutuellement ?
Daniel : c'est une bonne question. Si KompoZer a un succès mérité aujourd'hui, il reste que c'est Nvu à 99%. Nvu est obsolète. Son éditeur CSS que j'avais écrit encore chez Netscape, Cascades, est obsolète et son interface peut être TRES grandement améliorée. Son extensiblité est faible parce que son architecture n'offre pas de Helpers documentés. Bref, et malgré l'énorme boulot de ses contributeurs, je pense que c'est une voie de garage.
De temps en temps, et on connait bien le problème chez Netscape et Mozilla, il faut reprendre les choses depuis la base et reconstruire du neuf sans oublier l'ancien. C'est ce que se propose de faire BlueGriffon, qui n'oublie pas Nvu et sera clairement son successeur.
Tristan : Quels systèmes d'exploitation vises-tu ?
Et bien, vu que BlueGriffon est basé sur Xulrunner, ce sera évidemment cross-platform ! Windows, Mac OS X et Linux... Non je n'ai pas de version iPad sous le coude, en tous cas, pas encore.
Tristan : Quand verra-t-on la version 1.0 de BlueGriffon ?
Ce sera prêt quand ce sera prêt, mais le but est clairement 2010.
Tristan : On aura des extensions disponibles à ce moment là, si oui, lesquelles ?
Daniel : Oui il y en aura, des payantes et des gratuites. Exemple payant : l'éditeur avancé de CSS (l'éditeur de base sera gratuit) et d'autres trucs tout aussi sexy
Tristan : Et donc le code en sera propriétaire ?
Daniel : Les extensions commerciales, oui. C'est un modèle un peu particulier, mais il faut bien que Disruptive Innovations vive pour offrir BlueGriffon en MPL. Il est important pour nous de conserver absolument l'open-source et la gratuité de l'éditeur de base pas seulement parce que Nvu a fait le chemin, mais surtout parce que c'est notre philosophie de la chose.
Tristan : Merci Daniel, et longue vie à BlueGriffon !
Notes
[1] Note de Tristan : je pense que Daniel veut dire "version de maintenance''.
20 réactions
1 De David Lafon - 02/04/2010, 11:20
Voilà une annonce très intéressante ! J'attends de voir avec impatience ce que va donner la version finale. Les nightlies sont déjà très prometteurs. Les possibilités offertes par les extensions laissent rêveur.
2 De Antoine Turmel (GeekShadow) - 02/04/2010, 11:22
"Ne crains-tu pas que les deux logiciels se gène mutuellement ?" -> se gênent
3 De Laurentj - 02/04/2010, 11:29
Kompozer n'est pas qu'une version de maintenance ou de bug fix. C'était vrai pour les toutes premières versions, ce n'est plus le cas maintenant. Le logiciel a quand même évolué.
4 De Julia - 02/04/2010, 11:54
J'aurai une petite question vis-à-vis du système des extensions. Vous avez dit que certaines fonctionnalités seraient payantes, comme par exemple l'éditeur de code CSS avancé. N'avez-vous pas peur de vous lancer sur la voie d'Apple et de sa politique d'iPhone (tout contenu supplémentaire, applications, fonctionnalités, sont payantes) ?
N'est ce pas un peu contradictoire avec la "philosophie libriste", les 4 lois du Logiciel Libre, ce genre de chose ?
5 De Smat - 02/04/2010, 12:19
Bonjour
C'est trés motivant tout ça. Mais comment va se positionner le produit face à Komodo-EDIT ?
6 De Sylvain S. - 02/04/2010, 14:26
Bravo Daniel, très bonne nouvelle !
Je te rejoins sur l'intérêt des modules JSM : on remet à plat actuellement toute l'architecture de l'ihm de Scenari en vue de la v4 pour permettre de modulariser et d'étendre l'appli en s'appuyant massivement sur les JSM. Cette technique est toute simple et géniale !
7 De Changaco - 02/04/2010, 14:43
Encore et toujours en train d'essayer de vendre des copies, quand allez-vous comprendre que ce n'est pas un modèle viable ?
Voir entre autres: Free Distribution.
8 De Olivier FAURAX - 02/04/2010, 15:15
Est-ce qu'on a un exemple de produit open-source qui est arrivé à être rentable avec des extensions payantes ?
@Julia: étant donné que n'importe qui pourra proposer des extensions BlueGriffon sans l'avis de personne (c'est ce que j'ai compris), il n'y a pas de danger "à la Apple". Par exemple, si demain quelqu'un propose gratuitement une extension "éditeur CSS avancé", personne ne pourra l'en empêcher, même si ça peut casses le business de l'extension payante (ou alors, elle devient encore meilleure pour justifier son prix ).
9 De Laurentj - 02/04/2010, 16:05
@changaco : et quand est ce que les intégristes du libre comprendront qu'on ne peut pas vivre que d'amour et d'eau fraîche, en particulier quand on développe un logiciel libre ? qu'une société en france n'a pas le droit d'accepter des dons pour financer un projet ?
Et puis bon, concernant le modèle économique des logiciels propriétaires, si ça n'était pas viable, ça se saurait. Par contre, la viabilité d'un modèle économique d'un projet open source, si c'était vraiment viable et lucratif, ça se saurait aussi.
@olivier faurax : c'est le modèle économique de pas mal de logiciels (shareware ou autre), que ce soit par des extensions ou par des versions 'pro' payantes.
10 De Laurentj - 02/04/2010, 16:10
@smat : komodo edit n'est pas du tout le même type de produit. c'est un éditeur de texte. bluegriffon est un éditeur *wysiwyg* de page *html*. Bref, plus un complément qu'un concurrent à mon avis. Une question plus pertinente serait : comment se positionne BlueGriffon par rapport à DreamWeaver, Expression, ou Kompozer ?
11 De personne - 02/04/2010, 17:34
@Julia
Tout le monde n’est pas bloqué sur un mode binaire open source vs closed source, donc ce n’est pas un problème.
Mais de toute façon le problème pour toi et beaucoup d’autres ce n’est pas l’accessibilité aux sources, mais le fait qu’il faille payer.
Sur l’iPhone, Apple ne facture pas de fonctionnalités supplémentaires, des éditeurs de logiciel proposent des fonctionnalités supplémentaires, contre monnaies sonnantes et trébuchantes ou pas. Mais Apple jusqu'à présent a livré les mises à jours de son OS pour tous les iPhone gratuitement (pas pour les iPod touch, pour de vagues raisons comptables). Et j’aimerais faire remarques que les versions 2, 3 de l’OS de l’iPhone tournent sur les modèles de 1ere génération out of the box, ce qui n’est pas une règle chez les autres fabricants de mobiles.
@Changaco
A. Contrairement a ce que l’auteur de l’article affirme, une fois qu’on a livré un programme on n’en a pas terminé avec. On continue à bosser sur les bugs fixes, on prépare la nouvelle rev, on fait le support, etc. Dans les exemples qu’il donne, ça correspond complètement à l’exemple du charpentier/maçon whatever.
B. Avec la boite a pourliche qu’il évoque comme moyen de rémunération Daniel ce serait fait avec NVU approximativement 35k€, ce qui peut sembler correcte, sauf que sur ces 35k€ il faut enlever les impôts, et payer le ou les salariés de DI (il me semble qu’a l’époque de NVU ils étaient deux en incluant Daniel) ce qui nous fait au pif dans les 9k€ par an par tête de pipe, ou 750€ par mois, super!
C. DI applique Degas le principe du mécène, c’est le sujet de l’interview, mais une fois le dev financé c’est bien d’avoir des thunes pour assurer le support et l’évolution du logiciel.
@Olivier Faurax
Est-ce qu'on a un exemple de produit open source qui est arrivé à être rentable (je déconne... presque pas)
Ouais, alors l’éditeur css avancé gratuit, ça impliquerait de se sortir les doigts, de mettre en pose le trollage sur linuxfr, et de produire quelque chose, je ne pense pas que les nuits de Daniel soient en danger...
12 De Kazé - 02/04/2010, 22:25
Cool, on parle de KompoZer sur le standblog ! Ça fait plaisiiiiiiiiiir !!
13 De Bastien - 02/04/2010, 22:47
Quelle volonté, et quelle détermination dans les propos de Daniel Glazman. Le projet est prometteur ! J'imagine bien l'homme, un peu tendu, fourmillant d'idées qui n'attendent qu'à être réalisées.
Avec davantage de distance par rapport au projet, je pense que je serai parmi les curieux à l'utiliser. Mais je ne suis pas sûr de vouloir être convaincu. La désagréable sensation de perte de contrôle avec les éditeurs WYSIWYG a toujours été forte, à cause notamment du code produit. Le hasard faisant bien les choses, cette notion de CSS-Tricks.
(qui fixe la limite de ce que l'on juge acceptable) fait l'objet d'un article paru aujourd'hui sur14 De Cédric - 02/04/2010, 22:56
Personne == Daniel ?
15 De Changaco - 02/04/2010, 23:38
@Laurentj:
«et quand est ce que les intégristes du libre comprendront qu'on ne peut pas vivre que d'amour et d'eau fraîche, en particulier quand on développe un logiciel libre ?»
Ce genre de stéréotype ne fait que décrédibiliser ton discours.
«qu'une société en france n'a pas le droit d'accepter des dons pour financer un projet ?»
Ce type d'affirmation nécessite une source. De plus un don se transforme très facilement en achat du point de vue légal.
«Et puis bon, concernant le modèle économique des logiciels propriétaires, si ça n'était pas viable, ça se saurait.»
Ça ne l'est pas et ça se sait, par exemple les protections anti-copies (DRM) posent beaucoup de problèmes et n'en règlent aucun, et surtout pas celui de la rémunération des créateurs.
«Par contre, la viabilité d'un modèle économique d'un projet open source, si c'était vraiment viable et lucratif, ça se saurait aussi.»
Ça l'est et ça se sait, par exemple Red Hat se porte bien.
@personne:
«mais une fois le dev financé c’est bien d’avoir des thunes pour assurer le support et l’évolution du logiciel.»
Ce qui peut tout à fait être financé par les entreprises, organisations ou particuliers qui utilisent le logiciel en question.
En conclusion:
Ne vendez pas des copies, vendez des services.
16 De Fakir Séditieux - 03/04/2010, 00:24
Le moins que l'on puisse dire c'est que Daniel Glazman est du genre à ne pas lacher son os... Il est juste qu'il trouve par le biais de son nouveau contrat la juste récompense - pour lui et son équipe - de sa tenacité.
J'ai une petite question. Comment utiliser ce type d'application avec des CMS ? Je pense particulièrement à SPIP.
Si l'utilisation conjointe avec SPIP est possible quel apport peut-on en entendre ?
17 De Daniel Glazman - 03/04/2010, 14:05
@personne: je voudrais bien comprendre comment vous êtes arrivé à 35k€... Nvu a eu 3,5 millions d'usagers dans le monde. Vous m'expliquez votre calcul et sa base ?
18 De Nicolas F. - 04/04/2010, 13:16
Hello,
@glazou : hésites pas à me filer un coup de main pour porter KGen pour BlueGriffon, l'extension à pas mal de succès dans FF et je pense que bcp seraient heureux de la retrouver sur BlueGriffon. C'est du GPL. http://bitbucket.org/nfroidure/kgen...
Par contre, le système d'extensions équivaudra à quoi comme version de FF ? FF3.0 ? 3.5 ?
Bon courage pour la suite.
19 De personne - 04/04/2010, 17:47
@Cédric
Non, Daniel n’est pas du genre à se cacher, je pense. Il s’est pris suffisamment la gueule avec des casses pieds sur ce genre de sujets pour que ça ne fasse aucun doute. Et je n’ai rien à voir avec DI non plus.
Mais vérifie quand même que le GPS de l’alimentation de ton ordinateur est débranché
@Changaco
On en revient a la tip jar.
Et pour un jeu tu fais quoi? En dehors d’un jeu massivement en ligne, et même dans ce cas idéalement il faudrait livrer les sources pour le serveur. Pour un point & Click, tu vends quoi?
Et sinon:
''«Et puis bon, concernant le modèle économique des logiciels propriétaires, si ça n'était pas viable, ça se saurait.»
Ça ne l'est pas et ça se sait, par exemple les protections anti-copies (DRM) posent beaucoup de problèmes et n'en règlent aucun, et surtout pas celui de la rémunération des créateurs.''
On transmettra le message a EA, Valve, Microsoft, Oracle, etc.
Les DRM, et les pleurnicheries de l’industrie ne sont pas un signe que le piratage nuit au business, ils veulent juste racler le fond du plat.
@Daniel Glazman
Dans le texte mis en lien par Changaco, l’auteur postule qu’un pour cent des personnes utilisant le soft donnent 1€/$, j’ai juste transposé le cas de NVU avec ses 3,5 millions d’utilisateurs.
20 De Changaco - 05/04/2010, 12:00
@personne:
«Et pour un jeu tu fais quoi?»
Le mécénat global s'applique à toutes les créations. La communauté des joueurs est d'ailleurs particulièrement active et prête à financer des projets. C'est d'autant plus vrai pour les grands studios qui peuvent s'appuyer sur leurs réputations.
Un des problèmes est que le mécénat global requiert la transparence, en effet on ne donne pas d'argent si on ne sait pas exactement à quoi il va servir. Or la transparence est un principe peu apprécié dans notre société de concurrence où l'on veut tout garder secret par peur que les autres «volent» nos idées (alors qu'une idée est du domaine de l'immatériel, elle grandit quand on la partage).