Ainsi donc la loi Création et Internet la fort mal nommée, aussi connue sous le nom d'Hadopi, vient d'être votée, et je suis en colère.

En colère, de voir le débat politique voler aussi bas. Voir certains députés UMP[1] (certes pas tous élus) mentir comme des arracheurs de dents, à prétendre que si on est contre la loi Hadopi, on est contre le droit d'auteur et la rémunération des artistes. Cette simplification lamentable, ces contre-vérités me navrent.

En colère, parce que les valeurs auxquelles je tiens sont bafouées, de la présomption d'innocence (on est coupable aux yeux de l'Hadopi tant qu'on a pas prouvé son innocence), le fait que des sanctions soient prises par une autorité administrative et non judiciaire, ainsi que la liberté d'Internet.

J'enrage de voir le gouvernement français passer à coté d'Internet, d'abord avec DADVSI puis HADOPI, et bientôt LOPPSI2.

Je suis atterré de voir qu'on va devoir équiper son ordinateur d'un mouchard électronique, de voir qu'on peut être licencié pour avoir parlé politique avec son député. Attérré aussi de constater que le premier organisme d'information français, TF1, revendique un parti-pris en faveur d'Hadopi[2], ce qui a donné lieu à des dérapages.

Assemblée Nationale, Palais Bourbon

Un peu d'espoir

Ca va sans dire, mais ça va mieux en le disant : comme l'immense majorité des opposants à Hadopi, je suis pour la protection du droit d'auteur et pour la rémunération des artistes. J'ai par contre un avis plus nuancé sur la sauvegarde du business model obsolète de l'industrie du divertissement de masse. Malheureusement, nous avons un président de la république qui n'utilise pas d'ordinateur, ce qui fait qu'il n'a pas compris les enjeux. J'ose espérer qu'il a fait de bonne foi l'erreur d'écouter les lobbies des majors plutôt que d'imaginer les perspectives du développement numérique. Je veux y croire. J'ai proposé mon aide au gouvernement[3], et je la propose encore, malgré la colère.

Je ne suis pas dupe, on va voir les anciens lutter contre Internet. Mais il y a encore quelqurs raisons d'espérer :

  • La loi a été adoptée avec 53% de pour, c'est finalement peu, si on compare à ce qui s'est passé au Sénat au début de l'aventure. La classe politique a réussi à comprendre les enjeux. On a vu des députés UMP s'abstenir. On en a même vu qui votaient contre, malgré le bras de fer en coulisse[4]. Il y a eu un formidable travail de pédagogie sur sur thème particulièrement ingrat, mêlant des aspects juridiques et technologiques. Au passage, bravo à la Quadrature du Net, à PCINpact et Numerama, entre autres ainsi qu'à tous les anonymes qui ont ajouté leur grain de sel (mentions spéciales à Twitter et Identi.ca, le Twitter libre, pour avoir permis de fédérer les anonymes).
  • La loi n'est pas encore opérationnelle, et il reste des étapes à franchir :
    • Passage au Sénat
    • Saisine du Conseil Constitutionnel par le PS
    • Le paquet télécom de l'UE, qui est en directe contradiction avec Hadopi, car considérant l'accès à Internet comme un droit fondamental
    • Décret d'application (ne pas le publier serait une façon élégante d'enterrer Hadopi en toute discrétion)
  • Il y a une vraie prise de conscience des internautes et des citoyens en général qu'Internet est un espace de liberté à préserver des intérêts privés. C'est un des principes (le 9eme) du Manifeste Mozilla. "L'investissement commercial dans le développement d'Internet apporte de nombreux bénéfices ; un équilibre entre les objectifs commerciaux et l'intérêt public est crucial."

C'est sur ce point que je vais conclure : même si Hadopi est un vrai recul démocratique qui donne une loi inapplicable qui ne va pas servir les artistes, je suis persuadé que des milliers de gens ont commencé à prendre conscience qu'Internet est un bien commun qu'il convient de protéger[5]. Et plus cette prise de conscience est large, moins il est facile de l'étouffer. A cet égard, Hadopi évoque une autre loi crétine, cette fois-ci aux USA, le Communications Decency Act, qui empéchait de dire des gros mots sur Internet. La loi a été abrogée, mais au passage, elle a permis la publication de la Déclaration d'indépendance du Cybermonde, où John Perry Barlow, co-fondateur de l'Electronic Frontier Foundation, s'adresse à son gouvernement. Tout le document mérite d'être lu, d'autant qu'il est en version française. Ecrit en 1996, il est troublant de voir à quel point il est prémonitoire. En voici un court extrait :

Vous êtes terrifiés par vos propres enfants, parce qu'ils sont les habitants d'un monde où vous ne serez jamais que des étrangers. Parce que vous les craignez, vous confiez la responsabilité parentale, que vous êtes trop lâches pour prendre en charge vous-mêmes, à vos bureaucraties. Dans notre monde, tous les sentiments, toutes les expressions de l'humanité, des plus vils aux plus angéliques, font partie d'un ensemble homogène, la conversation globale informatique. Nous ne pouvons pas séparer l'air qui suffoque de l'air dans lequel battent les ailes.

En Chine, en Allemagne, en France, en Russie, à Singapour, en Italie et aux États-Unis (8), vous vous efforcez de repousser le virus de la liberté en érigeant des postes de garde aux frontières du cyberespace. Ils peuvent vous préserver de la contagion pendant quelque temps, mais ils n'auront aucune efficacité dans un monde qui sera bientôt couvert de médias informatiques.

Vos industries de l'information toujours plus obsolètes voudraient se perpétuer en proposant des lois, en Amérique et ailleurs, qui prétendent définir des droits de propriété sur la parole elle-même dans le monde entier. Ces lois voudraient faire des idées un produit industriel quelconque, sans plus de noblesse qu'un morceau de fonte. Dans notre monde, tout ce que l'esprit humain est capable de créer peut être reproduit et diffusé à l'infini sans que cela ne coûte rien. La transmission globale de la pensée n'a plus besoin de vos usines pour s'accomplir.

J'encourage ceux qui ont compris les enjeux du numérique, ceux qui se sont mobilisés contre Hadopi, à lire et à s'approprier le Manifeste Mozilla, à réfléchir comment chacun peut aider à préserver Internet contre les assauts de ceux qui en ont peur.

Notes

[1] On notera aussi que Jack Lang est le seul à gauche a avoir voté pour Hadopi. Il confirme ainsi qu'il n'a rien compris au problème.

[2] Extrait du site de TF1.fr : "Le Groupe TF1 a toujours manifesté une position de soutien au projet de loi 'Création et Internet' HADOPI pour mettre en place un système de réponse graduée contre le piratage".

[3] Adrien, Pierre, c'est quand vous voulez !

[4] À ce titre, toutes mes félicitations à MM. François Goulard, Denis Jacquat, Franck Marlin, Lionel Tardy, Christian Vanneste et Michel Zumkeller.

[5] Principe #2 : "Internet est une ressource publique mondiale qui doit demeurer ouverte et accessible."