Je profite d'un accès Internet chez ma belle-soeur où je séjourne actuellement, entre la montagne et la mer, en Californie, pour répondre à la question d'Eric Dupin (de presse-citron), qui se demande ce qu'il y aura après Internet. Dans son mail, il me demande ce que je pense de "l'après-Web". C'est une bigrement bonne question ! Du coup, je me suis installé dans le jardin (ah, le Wifi, quelle belle invention !), le barbecue est en train de chauffer et je sirote un soda (sans sucre) dans un verre géant rempli de glaçons. J'ai connu de pires moments pour triturer mes méninges :-D

Alors, l'après-Internet, l'après-Web, ça va ressembler à quoi ? Qu'on ne se méprenne pas, je n'ai aucune compétence pour dire l'avenir, et encore moins la prétention de le faire. Mais il y a des choses que j'ai appris dans mon métier (10 ans le mois prochain que je suis directement impliqué dans les navigateurs Web), et je crois pouvoir isoler des constantes dans ce monde très changeant.

Autoportrait dans un ascenseur futuriste des années 1970

Levons d'abord une ambiguïté : le Web et l'Internet sont deux choses différentes : le Web est une application d'Internet, tout comme le mail, le P2P, le FTP, la messagerie instantanée, la voix sur IP, la télé sur IP. Je pense que le Web sera supplanté à moyen terme par autre chose, et j'ignore encore quoi. A l'inverse, je pense qu'Internet est là pour durer, en tant que réseau capable de transporter plein de types de données différentes (Voix, vidéo, messages, hypertexte), y compris celles qu'on a pas encore inventé.

Le problème de l'adressage : avec IP V4 (la version actuellement utilisée), la limite en terme d'adresses disponibles est quasiment atteinte. Si on veut passer à la vitesse supérieure, avec des objets connectés à grande échelle, il faudra passer à IP V6. Je vous fais grâce des détails, mais ceux qui veulent en savoir plus pourront lire Pourquoi un nouveau protocole IP ? sur Wikipedia.

La connexion : le très haut débit pour (presque) tous, avec la multiplication des accès de type fibre ou cable, vers les 100 Mb/s dans les deux sens. C'est nécessaire pour la télévision en haute définition sur plusieurs canaux. On peut très bien imaginer l'utilisation d'une évolution du Wifi (et du Wimax) pour la connexion entre les outils portables et des routeurs domestiques. Dans une telle hypothèse, les difficultés sont multiples :

  1. Les fournisseurs d'accès et opérateurs de télécom vont-ils se laisser faire dans une baisse des tarifs qui est plus que probable ?
  2. Les solutions alternatives du genre FON.com pourront-elles se répandre largement ?
  3. Trouvera-t-on suffisamment de spectre radio pour que les connexion radios puissent se multiplier sans trop d'interférences ?

L'interface utilisateur du futur reste à inventer. Pour l'instant, le texte et l'hypertexte (les liens au seins de document Web) sont d'une puissance étonnante, surtout dans un environnement où la bande passante est limitée. Mais au fur et à mesure que la bande passante disponible augmente, que les équipements sont de plus en plus puissants, on peut manipuler des données plus riches que le texte, comme le son, la vidéo, la 3D, de façon à s'immerger dans une réalité virtuelle. Mais l'hypertexte a de beaux jours devant lui, dans la mesure où il est trivial à indexer, nécessite peu de ressources pour être manipulé (traduit, stocké, édité...)

L'alimentation en énergie est un problème de plus en plus pressant : si on devient de plus en plus dépendant d'outils portables connectés, il faudra pouvoir s'affranchir du problème de l'alimentation électrique : plus de portabilité, plus d'autonomie sont besoins à satisfaire. Pile à combustible, nouvelles technologies pour les batteries, moindre consommation : les pistes sont nombreuses, mais elles restent à explorer.

L'obsolescence du matériel connecté au réseau est un problème majeur à terme. Avec un potentiel de 7 milliards d'utilisateurs connectés, avec chacun au moins un objet connecté ou plus, la durée de vie du matériel, son recyclage (y compris celui des batteries, des écrans, tous deux extrêmement polluants) devient un problème dont l'ampleur devient gigantesque. Alors que la technologie évolue rapidement, il est logique (même si c'est regrettable) que les objets soient faits pour ne pas durer, mais cette tendance ne pourra pas durer.

Les périphériques et le "form factor". C'est sur ce sujet qu'il est le plus facile de raconter de grosses bêtises, alors je m'abstiendrai ! Ecran souples, claviers et souris virtuels, unités centrales intégrées dans les vêtements, tout est envisageable, mais il est quasiment impossible de dire ce qui va arriver en premier et ce qui va s'imposer. Une chose est sûre : Microsoft nous promet le Tablet PC depuis des lustres, des modèles existent, mais personne n'en veut ou presque. A l'inverse, il a suffit qu'Apple lance l'iPod dans l'indifférence générale (je n'étais pas le dernier à me gratter le cuir chevelu en me demandant quelle mouche avait piquée Steve Jobs), pour que quelques années plus tard on voit ces machines se vendres par centaines de millions. Dans l'Apple Store de San Francisco, près de Market Street, j'ai même vu une pancarte posée au dessus des iPod avec marqué : "pourquoi n'en acheter qu'un ?"... Au risque d'enfoncer les portes ouvertes, je crois que l'experience utilisateur sera essentielle, tout comme l'intégration des moyens d'interaction avec le service et l'interaction avec les proches (famille, amis, collègues...). Pour mieux saisir cela, je vous encourage à regarder des projets comme Twitter, Joey et The Coop.

Voilà pour un trop rapide tour d'horizon de ce qui va sans doute évoluer dans le monde des réseaux.

J'imagine que si je peux relire cet article dans plusieurs années (merci les standards pour l'archivage), je risque de ricaner bêtement devant une telle compilation d'inexactitudes ! Mais ce risque fait parti de l'exercice. Et vous : vous imaginez quoi ?

PS : j'ai tenté ici d'avoir une approche "optimiste" du futur, c'est à dire de ne pas me focaliser sur les dangers pour l'Internet, que ce soit pour le respect de la vie privée, la privatisation du réseau ou encore la fracture numérique... Ca sera peut-être pour une prochaine fois, mais dans l'état actuel, le billet est déjà trop long pour être lu sur écran...