Ceci est un premier jet, forcément brouillon, d'un article qui trotte dans ma tête depuis bien longtemps. Je jette ici mes premières idées sur le sujet, et j'en ferais un article plus structuré à l'avenir.

pourquoi le problème de la gratuité ?

On voit de plus en plus de produits gratuits sur le Web. Des logiciels, des services, comment est-ce possible ? Tentative de décryptage.

Du financement de la gratuité

Karl a l'habitude de dire que la gratuité n'existe pas. C'est une affirmation qui mérite d'être nuancée.[1]

Différence entre logiciel mutualisé d'un coté et logiciel propriétaire et services gratuits de l'autre

Quand je produis un logiciel, cela a nécessairement un coût. Si je suis bénévole, c'est un coût en temps et non pas en argent. Je prends de mon temps pour écrire ce logiciel. Comme la duplication du logiciel est gratuite (comme pour les idées), je peux partager gratuitement le fruit de mon effort. Il y a donc une véritable gratuité. Le logiciel Libre repose grandement sur ce modèle : le développeur "gratte là où ça le démange"[2], et il met à disposition de tous le logiciel qu'il a conçu à cette occasion.

Il existe une variante de cette approche : une entreprise a un besoin informatique, elle paye quelqu'un pour répondre à ce besoin, et partage le fruit de ce travail, très souvent parce qu'elle a en fait amélioré un logiciel Libre existant.

Mais bien souvent, pour contrer cette approche gratuite, certaines entreprises se retrouvent, pour rester compétitives, à proposer des logiciels gratuits, ou plus précisément, ''qui ont l'air gratuits". Pour elles, le développement a un coût terriblement réel et direct, qui doit générer des revenus en préservant l'apparence de la gratuité.

Il en est de même pour les services, au delà du logiciel, que ce soit une société qui vous offre d'héberger vos photos, votre blog, de vous aider à trouver des infos sur le Web, tout cela a un coût, parfois très important, au point de nécessiter plusieurs milliards de dollars d'investissement annuel ! Comment une société peut-elle compter gagner de l'argent en offrant un service gratuit ?

Différents moyens de financer indirectement un service pour qu'il semble gratuit

La publicité

Utiliser le modèle publicitaire est une évidence, au point que c'est le modèle dominant dans le monde de la presse en ligne, et qu'il s'étend à la presse papier. C'est un modèle qui a sa part de perversité, dans la mesure où la pub a tendance à s'immiscer partout, quitte à faire passer des messages aberrants[3]. L'autre aspect pervers de la pub, c'est de pousser au titre racoleur, au contenu minable mais qui génère de l'audience, aux dépends des nombreux journalistes qui voudraient bien faire leur métier et des lecteurs et téléspectateurs qui aimeraient bien qu'on les prenne un peu moins pour des cons. Quoi qu'il en soit, il me paraît peu probable qu'on arrive à court terme à sortir de la logique de Patrick Le Lay, qui affirme "Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible.". Et finalement, à tout prendre, la publicité est peut-être la moins mauvaise des façons pour financer l'apparente gratuité d'un logiciel ou d'un service, aussi étonnant que cela puisse paraître...

Considérer le coût comme étant du marketing pour attirer les clients

C'est un grand classique des méthodes de vente, revu façon cyber-espace : vous attirez le chaland avec une bonne affaire, et vous lui faites acheter autre chose à la place. Les boites aux lettres sont pleines de petits catalogues imprimés pour le compte de la grande distribution qui veut vous faire bénéficier de promotions incroyables. Alors que vous vous êtes dans le magasin, attiré pour toutes ces bonnes affaires, vous achetez des biens au prix normal. Ce financement de la gratuité est intégré dans ce qu'on appelle le cost of sales (coût de la vente).

Considérer le coût du service comme étant un moyen de retenir les clients

C'est la fameuse notion de stickiness (effet pot de colle). Le plus classique dans le monde de l'Internet, c'est le fait d'offrir une adresse e-mail au nouvel abonné. Ainsi, ce dernier hésitera à changer de fournisseur d'accès. Une adresse e-mail a un coût, mais celui-ci est largement récupéré par le fait qu'il verrouille fidélise le client. Dans un autre genre, mais toujours un grand classique, le coup du format propriétaire, où le client a mis ses données dans une boite noire, et perdra ses données (ou juste une partie) en cas de migration. C'est exactement cette raison qui fait que la bataille des formats est aussi stratégique...

Le service comme moyen de mieux connaître son client

Il y a un proverbe en marketing qui affirme "on dépense toujours deux fois trop en publicité, mais on ne sait jamais de quelle moitié on pourrait se passer" (pour obtenir des résultats comparables). Au delà de la boutade, cette phrase révèle un problème essentiel pour tous les marketeux : il faut mesurer l'efficacité des investissements réalisés, ne serait-ce que pour avoir un budget l'année suivante (voire, plus prosaïquement, de conserver son poste). Le "client type" est insaisissable et n'existe que dans l'esprit des marketeux. Voit-il les publicités ? Son comportement est-il influence par ces publicités ? A-t-il besoin de notre produit ? Eprouve-t-il du désir pour le produit ? Vais-je me planter en lançant tel ou tel produit ?Autant de questions que se posent les responsables marketing, lesquels seraient prêt à payer de véritable fortunes pour trouver des débuts de réponse.

Conclusion

Le but de cet article était de jeter les bases de ce qui fait qu'un logiciel ou un service, qui ont un coût, peuvent être proposés gratuitement au grand public. On le voit, seul le logiciel (par son coût de diffusion quasiment nul) peut être gratuit. Le fait qu'il soit Libre assure qu'il peut être maintenu par une communauté.

A l'inverse, les services gratuits ont un coût qui augmente avec le nombre d'utilisateurs. Pour les financer, il faut avoir recours à des astuces budgétaires que j'ai tenter de lister ici.

Parmi ces montages financiers, il en est un qui est nouveau, c'est celui qui vise à collecter des données personnelles sur l'utilisateur pour les monétiser, aux dépends du respect de la vie privée des internautes.

Aussi, chaque internaute utilisant un service gratuit devrait se poser la question mais comment est financé ce service ? Il faudra ensuite se demander si le jeu en vaut la chandelle : suis-je prêt à sacrifier ma vie privée pour bénéficier gratuitement d'un service qui pourrait m'être facturé quelques euros par an ? Suis-je prêt à brader mes informations personnelles pour si peu ?

Notes

[1] On notera que, pour ne pas rendre plus complexe encore le propos, j'ai volontairement omis la notion de gratuité telle que définie par les services d'état, comme "la couverture médicale gratuite" ou encore "l'école gratuite", où les coûts sont couverts par les impôts des citoyens.

[2] C'est l'expression consacrée en anglais, "Scratching an itch".

[3] Je pense en particulier à ce pétrolier qui affirme en pleine crise du pétrole : "pour vous, notre énergie est inépuisable", ou à ce fabriquant d'automobiles qui affirme que "Les villes sont faites pour [leur bagnole] ".