J'imagine déjà la moitié de mes lecteurs en train de se gratter furieusement le crane en disant une quoi ?

Une innovation perturbatrice, qu'on appelle aussi disruptive innovation dans la langue des Monthy Pythons. Le concept d'innovation perturbatrice est le centre d'un livre de Clayton M. Christensen intitulé The innovator's dilemma, qui explique qu'une innovation perturbatrice remet en cause son marché, au point que les acteurs du marché ne peuvent l'inventer, dans la mesure où ils ont tout à perdre si elle vient à se répandre. Ils préferent donc le status-quo (non, pas le groupe de rock) jusqu'au jour où un inconscient, tel le chien dans le jeu de quilles, vient mettre tout le monde d'accord en commercialisant la dite innovation perturbatrice sous prétexte que lui n'a rien à perdre et tout à gagner.

Cette idée d'innovation perturbatrice n'est pas nouvelle. Le livre lui-même date de 1997. Mais le concept est intéressant[1], il est à la mode (la preuve ;-) et on a donc tendance à l'appliquer à tout et n'importe quoi. Ce qui nous amène à à la question posée en titre : Firefox est-il une innovation perturbatrice ?

Franck Hecker, qui est probablement la personne clé qui a incité Netscape à fonder Mozilla.org, se pose la question et tente d'y répondre partiellement.

Je suis ravi de voir Franck arriver aux même conclusions que moi (mais lui à eu le mérite de les mettre noir sur blanc, après avoir lu le livre), à savoir que non, Firefox n'est pas une innovation perturbatrice en tant que tel.

Zut alors, on pourrait croire que je me dois de montrer un peu plus d'enthousiasme sur le produit auquel j'ai consacré l'essentiel de ces dernières années !

Franchement, j'ai beau adorer le projet Mozilla et le produit Firefox, je ne pense pas que cela mérite l'étiquette d'innovation perturbatrice. La raison en est toute simple : Firefox n'est qu'un navigateur. Et un navigateur, ça existait avant, de Viola, à Mozilla, en passant par Mosaic, Netscape Navigator, et Internet Explorer.

Pourtant, il y a tout de même disruptive innovation dans le paysage. Si ça ne tient pas au produit fini, cela tient d'une part à son prix (réellement gratuit), mais surtout à son modèle de développement : le logiciel Libre qui permet une mutualisation des efforts de développement à très grande échelle.

Certes, le logiciel Libre existe depuis toujours (il était Libre avant que le modèle propriétaire ne prenne le dessus), mais le projet Mozilla boxe dans une toute autre catégorie par son enjeu (un moyen moderne pour chacun d'accéder au Web), par les outils qu'il a développé (comme Bugzilla), par son marketing communautaire (SpreadFirefox.com, campagnes FAZ, NYT et Funnyfox) et par la taille de sa communauté de développeurs et testeurs (60000 comptes Bugzilla actifs en 2004).

Car il fallait bien être un élément perturbant, ou du moins très créatif, pour se frayer un chemin dans le marché très particulier du navigateur Web, face à un Microsoft reconnu coupable d'abus de position dominante par le ministère américain de la justice[2], qui fait un produit gratuit[3] et intégré à Windows, produit monopolistique s'il en est.

Mais Franck Hecker ne s'arrête pas là. Pour lui, c'est le navigateur en tant que plate-forme qui est une innovation perturbatrice.

Daniel Glazman va plus loin en affirmant que c'est l'extensibilité de Firefox qui peut semer la zizanie.

J'avoue ne pas vraiment savoir moi même. Mais si innovation perturbatrice il y a, elle vient probablement de GreaseMonkey, une extension de Firefox qui ouvre en grand une fenêtre donnant sur un champ de possibilités dont je peine à percevoir les limites.

Je reviendrai sur GreaseMonkey par la suite, dès que j'aurais un peu plus de temps pour à la fois en sonder les possibilités et écrire un billet. En attendant, les plus geeks d'entre vous pourront se précipiter pour télécharger GreaseMonkey (ainsi que son cousin Platypus) et pour se plonger dans le tutoriel GreaseMonkey voire, pour les plus téméraires, de télécharger des scripts GreaseMonkey (attention, en l'état actuel des choses, c'est potentiellement bigrement dangereux d'un point de vue sécurité informatique).

Notes

[1] pour être très franc, je n'ai pas (encore) lu le livre, ce qu'on prendra pour excuse si je dis des énormités dans cet article...

[2] vous vous souvenez sûrement du procès anti-trust perdu par Microsoft...

[3] pour qui a déjà payé Windows !