Vous avez déjà eu une migraine, vous ? Enfin, je veux dire une vraie de vrai, à devoir fermer les yeux tant la lumière fait mal, à vomir son déjeuner, à souhaiter la mort une fois réfugié sous la couette, en imaginant qu'on a un truc super grave dont on se remettra jamais ? Moi oui, elle a commencé hier matin et continue encore aujourd'hui dans une moindre mesure. Hier donc, j'étais sous la couette à écouter via l'iPod les derniers disques que j'ai rippé avec iTunes. Je me suis fait deux requiems de suite, Brahms puis Fauré. J'attendais donc la mort de pied ferme, en m'ennuyant... fermement (pour ne pas dire à mort). Je me suis interdit de penser à Mozilla ou à ma recherche de boulot, car c'est le genre de chose qui me fait me lever malgré moi.

Alors j'ai laissé mon esprit dériver loin de ces préoccupations habituelles et voilà mes petits neurones qui se sont attaqués à un sujet amusant en tentant de répondre à la question suivante : pourquoi LLM a-t-il aussi mauvaise presse/réputation au sein de la blogosphère ?

Je ne vais pas essayer ici de vous expliquer à quel point LLM est un con, un fumier, un salaud, un escroc[1], un p'tit malin, un profiteur, un tireur de couverture à soi, un empêcheur de bloguer en rond, un odieux capitaliste, un madelliniste écervelé n'ayant foi qu'en le Capital, car ça ne serait pas juste, pour deux raisons :

  1. Je n'ai pas moi même rencontré LLM, et je suis à peu près certain qu'il est sympathique de visu ;
  2. On est tous le con/le fumier/le salaud/l'escroc (etc.) de quelqu'un.


Aussi, je ne vais même pas vous dire ce que je pense de lui, mais plutôt tenter de pointer les raisons pour lesquelles il hérisse le poil de nombre de blogueurs ; si je n'ai pas rencontré LLM, j'ai par contre croisé le chemin d'un nombre impressionnant de personnes en disant du mal.

Continuons dans la métaphore du procès et passons donc en revue les griefs attribués au gaillard (Maître Eloas et les autres juristes dans la salle me pardonneront, je l'espère, les inexactitudes juridiques que je pourrais commettre : je ne suis guère versé dans la chose...). Au passage, je m'efforcerais de jouer l'avocat du diable et de défendre Loïc Le Meur. (Voyez à quel point je suis prêt à tous les compromis pour faire de l'audience !) (Mise à jour : J'ai modifié les titres de façon à souligner que je rapporte des accusations entendues. Tel que c'était écrit auparavant, on aurait pu croire que j'accusais moi-même LLM, ce qui est inexact.)

Certains disent que L. est un piètre blogueur en terme de style.

Ah, les goûts et les couleurs ! Bon, c'est vrai, des billets comme celui-ci :

Ouriel pense que c'est la meilleure pizza de Paris, il faut que j'aille tester tiens. D'autres recommandations ?

(Oui, j'ai mis l'intégralité de l'article), ça n'est pas ce qui va laisser une profonde empreinte sur la blogosphère, c'est sûr... Mais bon, ma rubrique En vrac ne vaut guère mieux, soyons réalistes. Et on trouve aussi mauvais du coté de chez Richard Stallman, et largement pire dans les Skyblogs (allez, une preuve au hasard), comme quoi...

Certains disent que L. a une audience minable

Ca n'est pas tout à fait faux, si l'on en croit ses statistiques anglaises et françaises. En cumulé anglais + français, il en est à 23.000 pages vues par semaine, soit 100.000 pages vues par mois. Mais attention, l'audience n'est pas tout. C'est peut-être même le contraire, au fond : a trop vouloir faire d'audience, on fini par perdre son âme. Ca s'appelle la logique TF1, et c'est confirmé par le proverbe bien connu : 100 milliards de mouches ne peuvent pas se tromper : mangez de la merde !. Donc on ne peut pas retenir cela contre lui.

Certains disent que L. est un piètre blogueur sur le fond

Voilà peut-être le vrai problème. L. exprime sa vision des choses avec une certaine candeur, et a tendance à se faire prendre en photo avec n'importe quel personne à peu près connue (de Michael Dell à DSK), ce qui lui a valu le surnom de Forrest Gump (qui m'a fait hurler de rire, je le reconnais).

Mais finalement, ce qu'on peut reprocher à Loïc Le Meur, c'est sa vision mercantile et utltra-libérale du monde. Prenons un exemple : quand L. veut s'attaquer à la pauvreté dans le monde, il va à Davos et prend des notes, et ça fait froid dans le dos. A propos des pays en voie de développement et de leurs habitants, sa conclusion est sans appel : Comment pouvons-nous leur rendre leur dignité ? Pas en leur disant ce qu'il devraient posséder, mais en leur donnant le pouvoir en tant qu'entrepreneurs et consommateurs.

Il y a un proverbe américain que j'aime beaucoup :

Quand on a un marteau en main, tous les problèmes ressemblent à des clous.

Le marteau de L., c'est le libéralisme.

Est-ce que ça fait de L. quelqu'un d'insupportable et de non fréquentable ? Je n'en sais rien. Il est sûr que je n'ai pas la même vision du monde que lui, et alors ? Il est vrai aussi que c'est presque rafraîchissant de voir quelqu'un avec des idées aussi tranchées et aussi peu à la mode (surtout dans la blogosphère), s'exprimer avec autant de candeur. Ca rappellerait presque du Patrick Le Lay, dans le genre candide...

Bon, L. a des idées que certains trouvent nauséabondes, mais il les exprime avec une certaine constance, assortie de franchise. C'est déjà pas mal, si ?

Certains disent que L. récupère la blogosphère pour faire du fric

Bon, là, il faut être très clair : il se présente comme entrepreneur, sourire Ultra-Brite sur des dents rayant le parquet, chemise à col ouvert sous le costume. Son boulot, c'est de faire parler de lui et de Six-Apart, et il l'a déjà reconnu à deux reprises (un et deux), d'un coté, ça n'est pas beaucoup, d'un autre, c'est déjà pas mal (MAJ : et même assez courageux)...

Son plan, tel que je l'imagine, est après avoir noté que la blogosphère était prometteuse, se débrouiller pour y prendre un strapontin (en s'offrant U-Blog pour pas cher) de transformer ce strapontin en fauteuil (via le rachat d'U-Blog par Six-Apart) et parier qu'un gros portail va essayer de rattraper son retard dans les blogs en rachetant Six-Apart et enrichir les actionnaires de la société.

Bon, bien sûr, c'est une stratégie moins ambitieuse que de d'inventer un truc, mais souvenons-nous que L. a fait HEC, et que le système le pousse à faire ce qu'il fait : le financier et le commercial gagnent plus que le créateur, l'artiste, le poête ou le visionnaire. On peut regretter cela, on peut essayer de changer cela (croyez-moi, c'est épuisant) ou on peut, comme L., être un marchand de soupe et fier de l'être. Etre heureux de ce qu'on est, de ce que l'on fait et de la place qu'on occupe,(MAJ : et de l'état du monde et de la direction qu'il prend) c'est déjà énorme. S'il y a bien une chose chez L. que j'envie, c'est celle-ci.

A ce sujet, il y a une série humoristique de citations que j'adore :

"To be or not to be..." - William Shakespeare

"To do is to be..." - Aristote[2]

"Doo-be doo-be doo" - Frank Sinatra

On remarquera que c'est le dernier venu qui a empoché le plus, malgré la pauvreté de la réflexion. Si on devait transposer cela à la blogosphère, ça donnerait ceci :

"Markets are conversations" - The Cluetrain Manifesto

"Blogs are conversations" - la blogosphère

"Blogs are a market" - LLM

Le parallèle est frappant, non ?

Certains disent que LLM fait du blog une marchandise...

...Et du coup, il ne fait que la promotion du blog commercial.

Oui, c'est indiscutable, et l'absence flagrante de solutions Libres au bidule du Sénat est révélatrice. Et alors ? L. est biaisé dans son approche, et ceux qui connaissent la blogosphère le savent bien.

Mais au fond, la question est plutôt : la marchandisation des blogs est-elle inévitable ? Est-elle néfaste ? Elle est probablement inévitable. Elle n'est pas forcément totalement néfaste. Le Web a connu une forte croissance (MAJ : et une importante innovation ; plus que la croissance, c'est l'innovation qui compte) grâce aux entreprises et n'en serait pas là si des Yahoo, Google, eBay, Netscape, AOL et Amazon n'avaient pas été là.

Dans tous les cas, si L. n'avait pas été là, ça n'aurait pas empêché Pierre Bellanger, Monsieur Skyblog, de devenir la locomotive commerciale des blogs, avec 1.670.383 blogs au moment où j'écris ces lignes, et près de 700.000 articles postés ce jour. A coté de ça, Six-Apart en France, soyons lucides, c'est vraiment négligeable. N'essayons donc pas de faire porter à L. le chapeau de la marchandisation des blogs.

Conclusion

Au final, je comprends bien que les blogueurs pionniers, qui ont contribué (et contribuent toujours) à façonner la notion de blog, vivent mal l'arrivée d'un entrepreneur, piètre blogueur, qui vient rafler la mise.

Mais la mise, si elle est bien raflée (et elle le sera très probablement), n'est que financière. LLM va toucher quelques millions en revendant ses parts à un portail commercial, et alors ?

Il ne faudrait pas que cette perspective rende jaloux (et aveugles) les véritables artisans de la blogosphère, ceux qui, chaque jour, inventent le média, ses usages, ses outils, sans en tirer un véritable avantage financier. Car ce qu'ils en tirent, c'est une immense satisfaction, celle d'avoir choisi la créativité à la rentabilité, et ça n'a pas de prix.

Mise à jour : LLM a publié une réponse après le délai de fermeture automatique des commentaires et trackbacks (qui est pour l'instant de 4 jours, pour éviter les dérives et le spam). Pour que le lecteur puisse se faire une opinion en connaissant le point de vue des deux parties, je vous encourage à lire Réponse à Tristan Nitot. Je répondrais dans un prochain billet.

Notes

[1] Mise à jour du 1er septembre 2005 : j'ai rencontré Loïc pour la première fois aujourd'hui, et il regrette qu'on puisse associer le mot "escroc" à son nom dans Google via ce billet. Alors une petite mise au point s'impose : je n'ai aucune preuve, ni même aucun soupçon du fait que Loïc soit un escroc. Comme le billet l'exprime, beaucoup de gens projetent sur Loïc des reproches qui n'ont pas lieu d'être. En les relayant ici, j' apporte à ces reproches une crédibilité qu'ils ne méritent pas.

[2] Pour les amateurs de philo, il existe des variantes avec "To be is to do" - Sartre et "To do is to be" - Nietzche.